Quand la génétique se mêle

(© Image: Fotolia)
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Chez les souris, la période des amours comporte des rites pour le moins inattendus. Des chercheurs démontrent, en effet, que la femelle sollicite activement les avances du mâle, ainsi que l’accouplement. Ils révèlent également que cette parade nuptiale est sous contrôle génétique, comme en atteste l’attitude agressive de femelles issues d’une lignée mutante. Ces dernières pourchassent les mâles et explorent leurs parties intimes sans relâche, avant de leur infliger des morsures génitales. Ce comportement est associé à une délétion d’une région particulière dans un groupe de gènes nommé HoxD. Les résultats de cette recherche proposent de nouvelles pistes pour explorer les bases génétiques et moléculaires de l’affect normal et pathologique des mammifères.

Les «gènes architectes» qui président au plan de construction des mammifères constituent le domaine de prédilection de Denis Duboule, professeur à l’UNIGE et à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne. C’est dans le cadre de ses recherches que son groupe a créé diverses lignées de souris mutantes. L’une d’entre elles, qui arbore une délétion, c’est-à-dire une perte d’un fragment de chromosome, dans un groupe de gènes architectes nommé HoxD, se comporte de manière inédite. «Les femelles porteuses de cette mutation ont une attitude normale, sauf en période de réceptivité sexuelle. A ce moment-là, en revanche, elles se mettent à pourchasser les mâles sans répit tout en explorant leurs parties intimes, qu’elles finissent souvent par mordre», explique Jozsef Zakany, chercheur au département de génétique et évolution de l’UNIGE.

Une déviation extrême de la norme

Cette activité incontrôlée et fortement exacerbée s’accompagne de stimulations tactiles des organes sexuels mâles, alternant avec des accouplements. Tandis que tous les mâles sont poursuivis de la même manière, les femelles ne s’en prennent jamais à leurs consoeurs. «Les mâles, quant à eux, ne font preuve d’aucune agressivité, même après mutilation de leur région génitale», constate avec surprise Denis Duboule, qui dirige le Pôle de recherche national Frontiers in Genetics.

La sollicitation sexuelle compulsive, qui n’a jamais été observée jusqu’alors et ne ressemble à aucune forme pathologique connue chez le rongeur, ne se manifeste que chez les femelles. Elle est transmise à la descendance sous la forme d’un allèle –une version du gène- dominant, que les chercheurs ont nommé ‘Atypical female courtship’, abrégé HoxDAfc.

Quel est le lien entre la délétion d’une région précise dans le groupe de gènes HoxD et une attitude qui s’apparente à du harcèlement sexuel aggravé? Afin de répondre à cette question, les biologistes ont notamment recherché des différences au niveau du cerveau des souris mutées. «Nous avons découvert que le gène Hoxd10, qui est contigu à la délétion, était exprimé de façon ectopique dans le cerveau antérieur, surtout au niveau de l’hippocampe», rapporte Jozsef Zakany.

Un système d’inhibition comportemental défectueux

En principe, les gènes Hox n’ont pas de fonction dans le cerveau antérieur. La présence de la protéine codée par Hoxd10 dans certaines cellules de l’hippocampe pourrait donc provoquer des changements importants dans l’implémentation de leur programme génétique, en particulier pendant la phase pré-ovulatoire. En l’occurrence, cette protéine pourrait prétériter la capacité de ces cellules à moduler les réponses comportementales sexuelles.

Si des anomalies liées à diverses mutations dans le groupe de gènes HoxD ont bien été documentées chez l’humain, aucune n’a été décrite être en lien avec un comportement sexuel déviant. «Nos observations chez la souris évoquent plutôt des pathologies humaines telles que le syndrome de Kluver Bucy ou l’épilepsie psychomotrice complexe du lobe temporal», note Denis Duboule.

Les paroles méconnues du discours amoureux murin

Ces travaux ont en outre permis aux chercheurs de découvrir la parade nuptiale normale de la femelle. Contrairement aux idées reçues, c’est bien elle qui initie l’approche sexuelle et l’accouplement, par une sollicitation active des avances du mâle. La mise au jour du contrôle génétique de cette activité ouvre la voie à l’exploration des bases moléculaires de l’affect normal et pathologique des mammifères.