Instantanés d'une simulation en dynamique moléculaire d'une toxine Shigella en train de se lier dans la membrane de la vésicule (vues latérale et du dessus) © J. Shillcock/EPFL
22.12.16 - La bactérie qui provoque la maladie intestinale à Shigella utilise une toxine qui exploite une force physique dans la membrane des cellules. Bien qu’elle soit difficile à bloquer, il est possible d’agir avec des nanoparticules exploitant la même force.
Un très grand nombre de maladies résultent d’infections bactériennes et virales. Ces pathogènes parviennent à pénétrer dans les cellules du corps par plusieurs voies. Une nouvelle étude conduite en partie par l’EPFL vient de révéler la découverte d’une voie d’infection inconnue jusqu’ici, utilisée par la bactérie qui provoque la shigellose, une maladie intestinale caractérisée par des diarrhées sanguinolentes. Dans le mécanisme récemment découvert, la bactérie Shigella exploite une force générique créée par les fluctuations de la propre membrane de plasma de la cellule. L’étude est publiée dans ACS Nano .
L’étude a été réalisée par John Ipsen à l’Université du Danemark du Sud, Ludger Johannes à l’Institut Curie en France, et Julian Shillcock à l’EPFL.
Normalement, les cellules régulent très strictement l’entrée d’éléments étrangers, afin de prévenir des invasions de pathogènes tels que les bactéries et les virus. En réaction, les envahisseurs ont développé différents mécanismes pour surmonter les barrières et parvenir à pénétrer dans les cellules.
Par exemple, un moyen consiste à prendre le contrôle de la machinerie de la cellule et de la leurrer pour qu’elle encapsule le virus ou la bactérie dans une vésicule qu’elle aura elle-même créée. Ce processus, un des moyens ordinaires utilisés par les cellules pour absorber de grosses molécules, est appelé «endocytose».
Dans leur étude, les scientifiques ont utilisé différents systèmes vésiculaires et des simulations informatiques pour étudier un mécanisme d’invasion bactérien qui paraît posséder des propriétés uniques. Le mécanisme est utilisé, parmi d’autres, par les bactéries qui provoquent la shigellose et qui produit une petite protéine rigide appelée toxine Shiga.
L’étude a découvert que les particules de la toxine Shiga s’attachent fortement à certains lipides, ou graisses, sur la surface de la membrane de la cellule qui doit être envahie. Puis elles commencent à former des amas sur la membrane, ce qui provoque une courbure de celle-ci vers l’intérieur, créant des invaginations en forme de tubes, par lesquelles les particules de la toxine pénètrent dans la cellule. Une fois parvenue à l’intérieur, les toxines Shiga modifient le mécanisme génétique de la cellule, et l’infection commence.
Mais la découverte majeure de l’étuderévèle que la toxine exploite réellement une force physique générique dans la membrane de la cellule pour provoquer les invaginations. Elle est appelée la «force de Casimir», et a d’abord été décrite comme une force théorique agissant entre deux surfaces parallèles, chargées et conductrices.
Dans le domaine de la biologie, on pense que la force de Casimir agit entre des protéines liées à la membrane dans les cellules, qu’elle existe sur toutes les membranes cellulaires biologiques fluides, et qu’elle s’active seulement lorsque le pathogène se lie étroitement à la surface de la membrane.
Les chercheurs suggèrent que la bactérie Shigella, et d’autres pathogènes, ont évolué de manière à profiter de la force de Casimir, née de la membrane de plasma fluctuante, pour infecter les cellules. De plus, et parce que les graisses avec lesquelles la toxine se lie sont aussi utilisées par la cellule pour ses opérations propres, on ne peut pas bloquer la toxine Shiga et l’empêcher d’entrer dans la cellule sans en même temps en neutraliser ou en modifier les fonctions normales.
Des nanoparticules pour délivrer le médicament
Mais puisque que la force de Casimir est supposée s’activer pour n’importe quelle nanoparticule fortement attachée à la surface de la membrane cellulaire, il existe une possibilité de créer une nouvelle manière d’acheminer le médicament, basée sur les nanoparticules. D’abord, il s’agirait d’attacher solidement les nanoparticules à la surface des cellules, où elles s’assembleront en amas. Ensuite, les nanoparticules doivent aussi accroître légèrement la courbure de la membrane cellulaire, de manière à pouvoir exploiter la force de Casimir et entrer dans la cellule. Une fois à l’intérieur, elles peuvent se mettre à opérer des changements défensifs et bénéfiques dans le comportement de la cellule.
Illustration d’une simulation de la dynamique d’une particule dissipative, montrant deux toxines liées fortement ensemble par la force de Casimir. © Julian Shillcock/EPFL
«La nature a créé des voies permettant aux pathogènes d’envahir les cellules. Les nanoparticules manufacturées peuvent emprunter ces mêmes voies pour traiter la dysfonction cellulaire,» résume Julian Shillcock.
Cette étude est le fruit d’une collaboration entre le Blue Brain Project de l’EPFL, l’Université du Danemark du Sud, l’Institut Curie et le CNRS en France. Elle a été financée par le European Community’s Seventh Framework Programme (TRANSPOL), l’Agence nationale pour la recherche, le Human Frontier Science Program, et la Fondation ARC pour la recherche sur le cancer.
Référence
Weria Pezeshkian, Haifei Gao, Senthil Arumugam, Ulrike Becken, Patricia Bassereau, Jean-Claude Florent, John Hjort Ipsen, Ludger Johannes, Julian C. Shillcock. Mechanism of Shiga toxin clustering on membranes.ACS Nano 12 December 2016. DOI: 10.1021/acsnano.6b05706