Les affections qui touchent les cellules nerveuses et musculaires sont très variées dans leur mode d’expression. Une catégorie d’entre elles, qui comprend notamment la maladie de Huntington et la dystrophie myotonique de Steinert, présente un type de mutation inhabituel. Grâce à l’emploi d’un nouvel outil de génie génétique, Vincent Dion, professeur assistant boursier FNS au Centre intégratif de génomique (CIG) de l’UNIL, ouvre la voie à des pistes thérapeutiques inédites pour ces formes jusqu’alors incurables de maladies neurologiques.
Les résultats de son étude sont à découvrir dans l’édition du 9 novembre 2016 de la revue scientifique Nature .
Comparable à une sorte de livre géant, notre génome est composé de quatre lettres A, T, C, G baptisées nucléotides. Ces unités de base de notre ADN peuvent être répétées de manière inhabituelle dans des endroits précis du génome dans certaines pathologies telles que la maladie d’Huntington, la dystrophie myotonique de Steinert, l’atrophie musculaire spinale et bulbaire, la maladie de Naito-Oyanagi, ainsi que plusieurs types d’ataxies spinocérébelleuses, soit au total 14 maladies différentes. «Ces répétitions sont naturellement abondantes dans le génome humain, mais peuvent engendrer des problèmes quand le nombre de triplets s’élève à plus de 35 ou 40 dans une même zone. On entend par triplet la succession de trois lettres dans un ordre donné, par exemple C, A et G», détaille Vincent Dion, professeur assistant boursier FNS au Centre intégratif de génomique de la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL et directeur de l’étude publiée dans Nature .
Des répétitions délétères
Chez certains patients, le nombre de répétitions peut s’élever à plusieurs milliers de triplets. «Le nombre de CAGs formant la répétition prédit la sévérité de la maladie: plus il y en a, plus la maladie sera grave et plus elle se manifestera à un jeune âge», poursuit le chercheur du CIG.
Alors qu’aucun traitement curatif n’existe pour l’heure pour cette catégorie de pathologies, une hypothèse attrayante envisagée par les généticiens consisterait à réduire le nombre de triplets pour enrayer l’étiologie de la maladie, voire même renverser sa progression. Dans la pratique, il n’existe toutefois aucun moyen de réduire spécifiquement les répétitions de CAGs. «Pire, les solutions actuelles peuvent aussi bien accroître que réduire le nombre de triplets dans d’autres cellules avec, à la clé, le risque d’aggraver la situation», témoigne Vincent Dion.
CRISPR-Cas9, les ciseaux moléculaires du futur
Afin de contourner cet obstacle et de trouver un traitement capable de réduire la répétition des triplets, les scientifiques lausannois ont fait appel à une nouvelle technique appelée CRISPR-Cas9. Cet outil de génie génétique agit comme une paire de ciseaux moléculaires qui peut être dirigée vers n’importe quel endroit du génome et couper de manière très précise les deux brins d’ADN. «Cette technique permet d’induire des mutations ou encore de corriger des mutations existantes à l’endroit désiré», explique Vincent Dion.
L’utilisation d’une variante de CRISPR-Cas9, l’enzyme dite «nickase», encore plus précise, permet la coupure spécifique de seulement l’un des deux brins d’ADN. «Dans nos travaux, nous avons observé que cette enzyme réduit le nombre de triplets présents dans une répétition dans près de 30% de nos cellules de culture humaine tout en induisant très peu d’expansion», se réjouit Vincent Dion. «Ce résultat est sans précédent: nous disposons désormais d’un outil capable d’induire spécifiquement des contractions des répétitions de CAGs, ce qui constitue une première bonne nouvelle».
Une autre difficulté résidait dans le fait que la vaste majorité des patients souffrant de ces maladies n’ont qu’une copie de leur gène qui contient une expansion, l’autre copie étant normale. Dans plusieurs de ces cas, la copie normale est essentielle à la santé des patients, autrement dit, elle doit rester intacte après l’action de la nickase. «Nous avons donc testé notre approche dans des lignées cellulaires humaines contenant un nombre normal de répétitions. La seconde bonne nouvelle est que la nickase n’a pas eu d’effet sur les copies normales des gènes et est donc spécifique aux cellules ayant un nombre élevé de triplets», relate Vincent Dion.
S’attaquer à des modèles pathologiques plus complexes
Si l’étude des chercheurs du CIG démontre que la nickase CRISPR-Cas9 peut être utilisée pour réduire le nombre de répétitions dans des cellules humaines, la prochaine étape consiste à déterminer l’impact de cette approche dans des modèles pathologiques plus complexes tels que des cellules souches humaines et des organismes vivants comme la souris. Afin, à terme, de pouvoir disposer d’un réel traitement pour les patients.