Consanguinité et disparition. Voilà ce qui attend les papillons vivant dans un milieu fortement urbanisé, indique une étude de l’EPFL. Celle-ci a permis de quantifier ces phénomènes sur toute une ville en associant urbanisme et génétique.
«Notre étude montre a priori un phénomène général, la chute de la biodiversité en milieu urbain. Elle a par contre l’avantage de le quantifier et de rappeler qu’il faut s’en inquiéter», explique Estelle Rochat, doctorante au Laboratoire de Systèmes d’Information Géographique (LASIG) de l’EPFL.
La chercheuse a mesuré l’impact de l’urbanisation très dense de la région de Marseille sur la diversité génétique d’une espèce de papillon, la piéride de la rave (Pieris rapae, ci-contre). Dans les espaces les plus denses de la ville, comprenant plus de 56% de surface non-naturelle (routes, bâtiments, etc.), la diversité génétique de ce papillon chute de 60 à 80%. En périphérie, elle ne baisse que de 16 à 24%, pour 3 à 13% de surface non-naturelle. La taille de leur population est réduite également drastiquement de 70 à 90% dans les zones fortement urbanisées. Les papillons qui se déplacent sur de plus courtes distances sont encore plus fortement menacés par la densification de l’urbanisation. L’étude vient de paraître dans la revue Heredity.
Pour quantifier ces observations, Estelle Rochat a comparé des résultats obtenus par simulation informatique à des données empiriques issues d’une banque génétique mise à disposition par l’Université d’Aix-Marseille. Celle-ci a permis d’observer l’ADN d’une population de 145 papillons marseillais et de le comparer à des données génétiques simulées sur une centaine de générations pour 1633 papillons de deux espèces, la piéride de la rave, qui peut se déplacer jusqu’à quatre kilomètres, et une espèce moins mobile pouvant se déplacer jusqu’à deux kilomètres.
Carte de résistance
A l’aide de données génétiques, Estelle Rochat se spécialise dans le cadre de sa thèse dans l’étude de la dispersion des espèces, soit leur capacité à se mouvoir dans un espace donné, ainsi que dans l’étude de leur capacité à s’adapter à leur environnement. Ici, elle a introduit dans un logiciel les caractéristiques de déplacement de la piéride de la rave. En parallèle, elle a créé une «carte de résistance» de la ville de Marseille, en attribuant un score aux différents éléments de la topographie en fonction des difficultés de déplacement que rencontrera le papillon: les bâtiments élevés, les milieux dépourvus de relais ou d’espaces verts se sont vus attribuer les scores de résistance les plus élevés, et les habitats potentiels des papillons, les scores les plus bas. «Nous avons identifié les lieux de passages potentiels dans la ville en fonction de critères tels que la végétation et l’ensoleillement en se basant sur les comportements connus du papillon», précise la chercheuse.
Fragmentation des habitats
La doctorante a ensuite comparé les données de sa simulation avec celles de la banque génétique de papillons dont les individus avaient été géolocalisés en 2010 sur un seul tronçon de 100 km de long, allant du centre à la périphérie éloignée de Marseille. Les résultats étant comparables, la chercheuse a pu étendre sa simulation informatique à toute la ville, révélant l’ensemble du phénomène: «Nous observons une grande différence entre le centre et la périphérie quant à la persistance des populations de papillons. Dans les zones fortement densifiées, les papillons n’ont plus d’espace pour se déplacer et ne peuvent plus rencontrer d’autres individus pour se reproduire. Ils présentent donc une forte consanguinité, ce qui diminue leur capacité de survie et d’adaptation à l’environnement et finit par décimer leur population.»
Espaces verts connectés
Des solutions pour éviter la chute de la biodiversité en milieu urbain existent déjà, rappelle Estelle Rochat: «Les toitures végétalisées, les potagers urbains, la verdure entre les rails de trams et les balcons fleuris permettent d’éviter la fragmentation et la réduction des habitats pour certaines espèces. Mais réfléchir à l’impact d’une construction en amont d’un nouveau projet urbain ou se munir d’un plan de restauration de la biodiversité est une approche évidemment plus durable.»
En complément, Stéphane Joost, co-auteur de l’étude, souligne l’importance de connecter les espaces verts d’une ville entre eux: «A un moment où l’on parle d’agriculture urbaine et de potagers urbains, il est utile de rappeler que ces mêmes potagers peuvent jouer un rôle décisif pour favoriser la biodiversité animale et végétale en ville si, et seulement si, les espaces verts sont connectés entre eux et connectés avec l’extérieur de la ville. La préservation de la biodiversité est également essentielle pour favoriser une meilleure qualité de vie des citadins, y compris le bien-être lié à de meilleures conditions de santé. Pour cette raison, il est primordial que les autorités et les urbanistes adaptent la manière dont ils conçoivent les centres urbains.»
Référence
E Rochat, S Manel, M Deschamps-Cottin, I Widmer and S Joost, Persistence of butterfly populations in fragmented habitats along urban density gradients: motility helps, Heredity, 9 August 2017.