Des scientifiques de l’EPFL ont développé une méthode de «reconnaissance faciale» pour identifier et découvrir des matériaux nanoporeux, en se basant sur la taille de leurs pores.
Image: Différences topologiques des matériaux les plus performants pour le stockage du méthane. L’analyse des données topologiques révèle la similarité entre les structures; chaque node représente une famille de matériaux similaires, tandis qu’un réseau entre deux nodes indique qu’ils partagent au moins un matériau. Les nodes les plus éloignés sont les matériaux les plus dissemblables. L’image montre des exemples de matériaux nanoporeux dans les bords, et représente les matériaux les plus différents du point de vue topologique (rouge = Si, jaune = O, zone en bleu = pores) (Crédit: B. Smit/EPFL)
Les matériaux classés comme «nanoporeux» possèdent des structures (ou des «charpentes») avec des pores d’un diamètre allant jusqu’à 100 nanomètres. Ceux-ci incluent divers matériaux utilisés dans différents domaines, tels que la séparation des gaz, la catalyse, et même la médecine (par exemple le charbon actif). La performance des matériaux nanoporeux dépend aussi bien de leur composition chimique que de la forme de leurs pores. Toutefois, cette dernière caractéristique est difficile à quantifier. Jusqu’ici, les chimistes ont eu recours à l’inspection visuelle pour voir si deux matériaux présentaient des pores similaires. Des scientifiques de l’EPFL, dans le cadre du Programme national de recherche NCCR-MARVEL, viennent de développer une méthode mathématique novatrice qui permet à un ordinateur de quantifier les similitudes de structure des pores. La méthode permet d’effectuer des recherches dans des bases de données comprenant des centaines de milliers de matériaux nanoporeux, afin de découvrir de nouveaux matériaux ayant la structure de pores recherchée. Ce travail est publié dans Nature Communications.
En quête de matériaux nanoporeux
Les matériaux nanoporeux forment une vaste catégorie et peuvent différer considérablement dans leur composition chimique. Ce qui les réunit, c’est la présence de pores de taille nanométrique dans leur structure tri-dimensionnelle, qui leur confèrent des propriétés catalytique et d’absorption. Ces pores peuvent mesurer de 0,2-1000 nanomètres, et leur taille comme leur forme (leur «géométrie») peuvent avoir des effets très importants sur les propriétés des matériaux. En fait, la forme des pores est un indice de performance aussi important que la composition chimique.
Aujourd’hui, les ordinateurs peuvent générer de vastes bases de données de matériaux potentiels et déterminer - avant d’avoir à les synthétiser - quels matériaux offriront les meilleures performances pour une utilisation donnée. Mais leur composition chimique est si versatile que le nombre de nouveaux matériaux possibles est presque illimité, alors même que nous ne disposons pas d’une méthode pour quantifier et comparer les similitudes dans les géométries des pores. Cela signifie que trouver le meilleur matériaux nanoporeux pour quelque application que ce soit est problématique.
Les mathématiques à la rescousse
Une nouvelle méthode, développée en collaboration avec le laboratoire de Berend Smit et Kathryn Hess Bellwald à l’EPFL, recourt à une technique tirée des mathématiques appliquées appelée «homologie persistante». Cette technique est capable de quantifier la similitude géométrique des structures de pores en utilisant les outils mathématiques couramment utilisés par Facebook et d’autres pour trouver des visages semblables dans des photos téléchargées.
La méthode de l’homologie persistante produit des «empreintes digitales», représentées par des code-barres, qui caractérisent les formes des pores de chaque matériau dans la base de données. Ces empreintes digitales sont ensuite comparées, afin de calculer à quel point les formes des pores de deux matériaux sont similaires. Cela signifie que cette approche peut être utilisée pour passer en revue des bases de données et identifier des matériaux présentant des structures de pores similaires.
Les scientifiques de l’EPFL montrent que cette méthode est efficace pour identifier des matériaux possédant des géométries de pores similaires. Une classe de matériaux nanoporeux qui pourrait bénéficier de cette innovation est celle des zéolites et des structures organométalliques (MOF), dont les applications vont de la séparation et du stockage des gaz, à la catalyse.
Les scientifiques ont utilisé le stockage du méthane - un aspect important des énergies renouvelables - comme étude de cas. La nouvelle méthode a montré qu’en explorant les bases de données à la recherche de formes de pores similaires, il est possible de trouver des matériaux nanoporeux fonctionnant aussi bien que les matériaux les plus performants.
Par ailleurs, l’étude montre que la forme des pores des matériaux les plus performants peut être répartie dans des classes topologiques distinctes, et que les matériaux de chaque classe requièrent une stratégie d’optimisation différente.
«Nous disposons d’une base de donnée de plus de 3’000’000 de matériaux nanoporeux, et par conséquent vouloir identifier des structures similaires par l’inspection visuelle est hors de question», dit Berend Smit. «En fait, en parcourant la littérature, nous avons découvert que souvent les auteurs ne réalisent pas qu’un nouveau MOF a la même structure de pores qu’un autre. C’est pourquoi nous avons vraiment besoin d’une méthode informatique. De fait, tandis que l’humain est intuitivement doué pour reconnaître des formes comme étant semblables ou différentes, nous avions besoin de travailler avec le département de mathématiques de l’EPFL pour développer un formalisme capable d’enseigner cette capacité à un ordinateur.»
«Dans le domaine de la topologie algébrique, les matématiciens ont formulé la théorie de l’homologie persistante dans n’importe quelle dimension», dit Kathryn Hess. «Des applications antérieures utilisaient seulement les deux premières de ces dimensions, aussi est-il réjouissant que des ingénieurs chimistes de l’EPFL aient découvert une application importante qui implique la troisième dimension aussi».
Ce travail résulte d’une collaboration entre l’EPFL, l’INRIA (France) et l’UC Berkeley. Il a été financé par le US Department of Energy, le National Center of Competence in Research (NCCR)‘Materials’ Revolution:Computational Design and Discovery of Novel Materials (MARVEL)- la Deutsche Forschungsgemeinschaft (DFG), le Conseil européen de la recherche (ERC; Horizon 2020; GUDHI).
Référence
Yongjin Lee, Senja D‘Barthel, Pawe’ D’otko, S Mohamad Moosavi, Kathryn Hess, Berend Smit. Quantifying similarity of pore-geometry in nanoporous materials. Nature Communications 23 May 2017. DOI: 10.1038/ncomms15396