Quelques-uns des grands mystères de l’Univers pourraient être élucidés grâce au Square Kilometre Array (SKA), un gigantesque radiotélescope qui sera créé en Afrique du Sud et en Australie. Plusieurs laboratoires de l’EPFL sont impliqués dans l’aventure.
Voir les matières et les forces invisibles. Tel est le programme alléchant du SKA, ou Square Kilometre Array, un gigantesque radiotélescope destiné à prendre forme dans le désert de Karoo, en Afrique du Sud, et dans la région de Murchison, en Australie de l’Ouest. Le projet regroupe des scientifiques de plus de seize pays et d’une centaine d’institutions scientifiques, dont l’EPFL.
«Pour notre domaine scientifique, c’est une nouvelle ère qui s’ouvre», décrit Jean-Paul Kneib, qui dirige le Laboratoire d’astrophysique de l’EPFL (LASTRO). Car cette installation offrira aux chercheurs des outils inédits pour observer l’Univers. La plupart des télescopes, comme le réputé satellite Hubble ou les grands télescopes du Chili, reposent sur des technologies d’observation du rayonnement optique. Le SKA, lui, captera les ondes radioélectriques. Il existe d’autres instruments de ce genre, tel que le radiotélescope d’Arecibo, à Porto Rico. Doté à terme de trois mille paraboles et d’un million d’antennes, le SKA sera de loin le plus grand et fournira des images bien plus précises.
La radioastronomie s’attache à détecter et étudier les objets célestes invisibles aux appareils optiques, c’est-à-dire les plus froids ou les plus éloignés, qui émettent peu de lumière visible. Or, ceux-ci composent l’essentiel de la matière présente dans l’espace. Il s’agit de gaz, de zones obscurcies par des poussières cosmiques, d’objets situés à plusieurs milliards d’années-lumière. Parmi les découvertes les plus importantes réalisées avec cette technologie, il y a notamment celle du fond diffus cosmologique (cosmic microwave background).
«Avec le SKA, nous espèrons remonter jusqu’aux temps où les galaxies n’existaient pas encore», explique Frédéric Courbin, du LASTRO. L’un des buts du projet est notamment d’essayer de percer l’un des plus grands mystères actuels: pourquoi l’expansion de l’Univers s’accélère-t-elle’ Les scientifiques comptent sur les performances inégalées du nouveau télescope pour le découvrir, entre autres en observant la formation des premières galaxies et en étudiant la distribution de l’hydrogène, l’un des éléments chimiques les plus abondants dans le cosmos. Invisible directement en utilisants les techniques optiques, ce gaz est en revanche extrêmement «brillant» en terme d’émissions radio.
Beaucoup de place
Prometteuse, la radioastronomie présente aussi de grosses contraintes. La première, c’est qu’il faut de la place, beaucoup de place. Car si les sources de signaux radio sont foison, elles sont souvent très faibles. Pour pouvoir en capter suffisamment et reconstituer des images de bonne résolution, la surface collectrice du radiotélescope doit être très large. Plus celle-ci sera grande, plus la sensibilité du système sera bonne et plus la résolution sera fine.
Pour obtenir la zone la plus large, il existe deux possibilités: soit l’on contruit d’immenses paraboles - la plus grande à ce jour se trouve en Chine et mesure 500m de diamètre - soit on utilise plusieurs antennes placées à distance les unes des autres. Grâce aux principes de l’interférométrie, une méthode qui - très schématiquement - relie et combine les signaux reçus sur chaque antenne, cette configuration permet d’obtenir la même résolution que celle qu’aurait une parabole de diamètre équivalent à l’écart maximum entre les antennes. C’est la solution choisie pour le projet SKA, dont les antennes, réparties sur deux continents et dont les distances iront jusqu’à 3000km, aura une surface collectrice totale équivalente à un kilomètre carré!
Une telle surface permettra de recueillir un nombre de données impressionnant. Pour s’en faire une idée, on peut imaginer qu’une radio mettrait deux millions d’années à diffuser les informations engrangées par SKA... en une seule journée! Le traitement informatique de tels volumes constitue l’autre défi majeur du projet. «Il s’agit non seulement de trouver les bons outils pour lire et trier cette gigantesque quantité de données, mais également de développer des algorithmes spécifiques pour le domaine de l’astrophysique», explique Frédéric Courbin.
Une carte suisse à jouer
«Or, dans ce domaine, l’EPFL possède une solide expertise et a donc une vraie carte à jouer», relève Jean-Paul Kneib. C’est pourquoi le Laboratoire de traitement du signal (LTS5) a été associé, et plus précisément un groupe spécialisé qui en est issu: le Biomedical and Astronomical Signal Processing (BASP), de l’Université Heriot Watt d’Edimbourg.
«Avec une telle surface d’acquisition de données, le SKA pourra capter des sources extrêmement faibles et petites, relève Yves Wiaux, qui dirige le BASP. Mais les informations reçues sur les différentes antennes seront également très fragmentaires. Il s’agit donc de trouver une méthode qui permette non seulement de les traiter rapidement, mais aussi de les compléter.» Pour faire face à toutes ces difficultés, les experts proposent une stratégie reposant sur deux axes: la théorie de l’échantillonnage compressif, qui offre des méthodes pour reconstruire signaux et images à partir des données manquantes, et la théorie de l’optimisation, qui fournit des algorithmes parallélisés pour le processus de reconstruction - c’est-à-dire dont les calculs sont réalisés sur plusieurs serveurs en même temps.
«Seize pays sont déjà impliqués dans le projet, qui est en train de devenir une grande organisation internationale, relève Jean-Paul Kneib. C’est donc maintenant que la Suisse et sa communauté scientifique doivent s’y intégrer et faire valoir leurs compétences, tout comme elle l’a fait par le passé en devenant membre de l’ l’ESO, l’European Southern Observatory, et de l’ESA, l’Agence spatiale européenne.»
Ci-dessus, trois exemples d’images réalisées avec les données radio:
1. Distribution du gaz moléculaire dans une paire de galaxies en interaction. Cette image combine des données optiques (Hubble) et radio (ALMA). ©NRAO/ALMA/NASA/ESA/B.Saxton.
2. Image de l’Univers profond: chacun des points est une galaxie. ©NRAO/B.Saxton from data provided by Condon, et al.
3. Ce qu’il reste de l’explosion d’une supernova. ©NRAO/L.Rudnick, T.Delaney, J.Keohane & B.Koralesky, T.Rector.