Découverte d’un nouveau mécanisme de protection de l’intestin

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Muqueuse de l’intestin gre’le de souris axe?niques avec plasmocytes
Muqueuse de l’intestin gre’le de souris axe?niques avec plasmocytes producteurs d’IgA (vert). Image: Brigham & Women’s Hospital, Harvard Medical School

Avec le concours de l’Université de Berne et de la Clinique universitaire de l’Hôpital de l’île à Berne, une équipe de chercheurs internationale est parvenue à mettre en évidence un mécanisme de protection de l’intestin jusqu’alors inconnu. Agir de façon ciblée sur ce mécanisme pourrait à l’avenir apporter des améliorations dans le traitement des maladies inflammatoires de l’intestin.

Chaque jour, notre intestin est soumis à une multitude d’influences environnementales. Certains de ces facteurs, tels que les nutriments, les bactéries ou les virus, peuvent perturber l'équilibre délicat de notre intestin. Couplés à des facteurs génétiques, ils peuvent être à l’origine de réponses immunitaires démesurées se traduisant par des maladies inflammatoires chroniques de l'intestin (MICI ou IBD en anglais pour Inflammatory Bowel Diseases). Les MICI, dont font partie la maladie de Crohn et la rectocolite ulcéro-hémorragique, touchent environ 20'000 personnes en Suisse et provoquent bien souvent un stress physique et psychologique considérable.

Le réticulum endoplasmique (RE) est un élément des cellules intestinales qui est particulièrement sensible aux facteurs de stress environnementaux. Des protéines vitales pour la cellule sont produites dans ce réseau membranaire ramifié. Des études antérieures avaient montré que le stress du RE jouait un rôle important dans le développement des maladies inflammatoires chroniques de l'intestin. On ignorait en revanche si le stress induit par le RE était à même d’inhiber l'inflammation intestinale.

Les derniers résultats obtenus par une équipe de recherche internationale, avec notamment la participation importante de chercheurs du Department for Biomedical Research (DBMR) de l'Université de Berne et du Département de gastro-entérologie de la Clinique universitaire de chirurgie et de médecine viscérales de l’Hôpital de l’île à Berne, ont mis pour la première fois en évidence les effets positifs du stress du RE sur les inflammations intestinales: ce dernier met à contribution des cellules immunitaires de la cavité abdominale dans la muqueuse intestinale. En produisant des anticorps de type immunoglobuline A (IgA), ces cellules peuvent renforcer la barrière protectrice de la muqueuse intestinale sensible et ainsi offrir une protection contre les réponses inflammatoires excessives. Cette étude a été publiée dans la revue ’Science’.

Le stress peut aussi être positif

Les chercheurs ont étudié plusieurs modèles murins dans lesquels des altérations génétiques induisaient un stress du RE dans les cellules de la muqueuse intestinale. Ils ont pu constater que tous ces modèles avaient en commun une nette augmentation des IgA. De plus, quand les chercheurs perturbaient la production ou le transport des anticorps, l'effet protecteur des IgA disparaissait et l'inflammation intestinale augmentait.

’Les observations réalisées sur des souris axéniques ont joué un rôle particulièrement important pour cette étude’, déclare Niklas Krupka, l'un des principaux co-auteurs de l'étude. Dépourvues de bactéries, virus ou champignons exerçant une action stimulante sur leur système immunitaire, les souris axéniques ne produisent normalement que très peu d'IgA. ’La seule production génétique du stress du RE dans les cellules intestinales nous a permis d’obtenir une augmentation significative de la production d'IgA chez les souris axéniques. Cela montre que l’on a bien à faire à un mécanisme fondamental de protection de l’intestin qui ne nécessite même pas de colonisation microbienne naturelle.’

Une nouvelle approche de traitement?

Les chercheurs ont identifié, dans la cavité abdominale, un groupe particulier de cellules immunitaires à l'origine de la réponse IgA déclenchée par le stress du RE. ’Nos données révèlent que l'intestin communique activement avec ces cellules lors d'un stress du RE via des facteurs jusqu'alors inconnus, obtenant ainsi de l'aide à distance’, explique Niklas Krupka. Des mécanismes de protection comparables pourraient également jouer un rôle dans les maladies inflammatoires chroniques de l'intestin: c’est ce que semble indiquer l’augmentation, constatée par les chercheurs, des cellules productrices d'IgA dans les biopsies intestinales de patientes et patients porteurs d'un variant du gène favorisant le stress dans les RE.

Les chercheurs espèrent maintenant que les connaissances acquises pourront servir à l'avenir à envisager de nouvelles approches dans le traitement des maladies inflammatoires chroniques de l'intestin et prévoient déjà d'autres études. ’Le stress du RE de la muqueuse intestinale peut remplir une fonction utile - comparable à l’’eustress’, un terme emprunté à la psychologie: un stimulus stressant ayant un effet positif sur l'organisme’, poursuit Krupka.

L'étude a été menée sous la direction de la Brigham and Women's Hospital, Harvard Medical School de Boston, avec la précieuse participation du Department for Biomedical Research de l'Université de Berne et de la Clinique universitaire de chirurgie et de médecine viscérales de l'Hôpital de l’île à Berne: après avoir mené à bien ses travaux de recherche à la Harvard Medical School, Niklas Krupka a récemment rejoint la Clinique universitaire de chirurgie et de médecine viscérales de l'Hôpital de l'île à Berne. Les chercheurs bernois Hai Li, Julien Limenitakis, Stephanie Ganal-Vonarburg et Andrew Macpherson ont joué un rôle déterminant dans la caractérisation de la réponse anticorps et de son effet sur les bactéries intestinales.

Ces travaux ont reçu le soutien, entre autres, des National Institutes of Health (USA), du Conseil européen de la recherche, de la Fondation allemande pour la recherche, de l'Organisation néerlandaise pour la recherche scientifique, du Wellcome Trust Senior Investigator Award (Royaume-Uni) et de la Société japonaise pour la promotion de la science.

Détails de la publication:

Joep Grootjans*, Niklas Krupka*, Shuhei Hosomi*, Juan D. Matute, Thomas Hanley, Svetlana Saveljeva, Thomas Gensollen, Jarom Heijmans, Hai Li, Julien P. Limenitakis, Stephanie C. Ganal-Vonarburg, Shengbao Suo, Adrienne M. Luoma, Yosuke Shimodaira, Jinzhi Duan, David Q. Shih, Margaret E. Conner, Jonathan N. Glickman, Gwenny M. Fuhler, Noah W. Palm, Marcel R. de Zoete, C. Janneke van der Woude, Guo-Cheng Yuan, Kai W. Wucherpfennig, Stephan R. Targan, Philip Rosenstiel, Richard A. Flavell, Kathy D. McCoy, Andrew J. Macpherson, Arthur Kaser et Richard S. Blumberg: Epithelial endoplasmic reticulum stress orchestrates a protective IgA response. 1er mars 2019, aat7186

* shared first authors