Des ciseaux moléculaires stabilisent le cytosquelette de la cellule

- EN- DE- FR
Sung Ryul Choi (à gauche), biochimiste au PSI et l’un des premiers auteurs
Sung Ryul Choi (à gauche), biochimiste au PSI et l’un des premiers auteurs de l’étude, examine un échantillon de protéine avec Michel Steinmetz, directeur du Laboratoire de recherche biomoléculaire au PSI. (Photo: Institut Paul Scherrer/Mahir Dzambegovic)
Des chercheurs de l’Institut Paul Scherrer PSI à Villigen sont les premiers à avoir réussi à élucider dans des cellules humaines la structure d’enzymes importants qui modifient des composants essentiels du cytosquelette de la cellule. Ils ont ainsi dévoilé la partie manquante du circuit qui régule le montage et le démontage des éléments de soutien de la cellule. Les enzymes qu’ils ont étudiés fonctionnent comme des ciseaux moléculaires et peuvent être impliqués dans l’apparition de différentes maladies du système nerveux ou du cancer. Leur élucidation structurale fournit des bases pour le développements d’inhibiteurs spécifiques et peut-être de nouveaux traitements. Les chercheurs ont obtenu des vues détaillées dans la structure des enzymes à l’aide de la Source de Lumière Suisse SLS. Ils publient à présent leurs résultats dans la revue Nature Structural & Molecular Biology.

Les filaments appelés microtubules assument des tâches d’une importance essentielle pour le vivant: ils confèrent leur forme aux cellules humaines, jouent un rôle décisif dans la division cellulaire et viennent en renfort lors de l’acheminement de certaines substances à travers la cellule. On les retrouve dans toutes les cellules des végétaux, des animaux et des êtres humains. Les microtubules peuvent atteindre une longueur de plusieurs micromètres, ce qui correspond à l’épaisseur moyenne d’un cheveu humain.

La structure cylindrique des microtubules est constituée d’un arrangement régulier de deux composants appelés tubulines: la tubuline - et la tubuline ’. Dans une cellule saine, il se produit sans cesse de nouveaux microtubules à partir de ces composants et il s’en détruit sans cesse également. Ce processus est contrôlé par de nombreux mécanismes, notamment ce qu’on appelle le cycle tubuline-tyrosine, lors duquel un acide aminé appelé tyrosine est tantôt ajouté à la tubuline ’, tantôt retiré de celle-ci.

Les enzymes qui lient la tyrosine à la tubuline - sont connus depuis longtemps. Sans eux, les neurones dans le cerveau ne pourraient pas se mettre correctement en réseau. En revanche, les enzymes appelés vasohibines, qui retirent la tyrosine de la tubuline ’, n’ont été identifiés qu’en 2017.

Etudier des ciseaux moléculaires au travail

En règle générale, le retrait de la tyrosine de la tubuline - stabilise les microtubules. Les microtubules sans tyrosine peuvent se conserver plusieurs heures, alors que les microtubules avec tyrosine sont démontés au bout de quelques minutes.

Des chercheurs de l’Institut Paul Scherrer à Villigen viennent de réussir une première: révéler la structure exacte de deux vasohibines et étudier comment ces enzymes retirent la tyrosine de la tubuline ’.

Pour ce faire, les vasohibines forment dans leur structure moléculaire un sillon qui épouse parfaitement le bout de la tubuline - contenant la tyrosine. Pour que ce centre actif s’accole précisément à sa structure cible, l’enzyme a encore besoin d’un activateur appelé «small vasohibine binding protein». Jusqu’ici, cette protéine n’était connue que comme stabilisateur des vasohibines, mais pas comme stimulant d’une réaction enzymatique. Les analyses structurales précises du centre enzymatique actif montrent par ailleurs à quoi devraient ressembler des substances qui seraient capables d’inhiber les vasohibines.

Les chercheurs ont obtenu un autre résultat surprenant dans le cadre de leurs travaux: lorsqu’on inhibe l’activité des vasohibines, des perturbations apparaissent dans le développement des neurones et de leurs liaisons; or ces perturbations sont semblables à celles que l’on observe en cas d’absence de leur contrepartie, c’est-à-dire en cas d’absence de l’enzyme qui ajoute la tyrosine à la tubuline ’. «La clé de la formation normale des neurones réside donc dans un équilibre sensible entre microtubules avec et sans tyrosine, résume Michel Steinmetz, directeur du Laboratoire de recherche biomoléculaire au PSI. Nos résultats mettent en évidence les bases structurales de la détyrosination de la tubuline et l’importance de ce processus pour le développement des neurones.»

Une voie possible vers de nouveaux traitements

Comme les microtubules sont impliqués dans le développement correct des tissus nerveux, mais aussi dans de nombre d’autres processus vitaux qui se jouent dans l’organisme, la recherche sur leur formation et leur structure ouvre de nouvelles possibilités pour la médecine. Ainsi, les microtubules jouent un rôle important dans la croissance des tumeurs et la conservations de neurones sains. «Avec notre élucidation structurale des vasohibines en complexe avec des inhibiteurs, nous pourrions développer des médicaments innovants contre des maladies liées à une tyronisation inhabituelle de la tubuline, comme par exemple certains types de cancer et éventuellement certaines maladies du cerveau», relève Michel Steinmetz.

L’élucidation structurale des vasohibines a permis pour la première fois de décrire la totalité du cycle tubuline-tyrosine. «Cela nous ouvre de toutes nouvelles possibilités pour intervenir dans ce cycle avec des agents thérapeutiques et développer de nouveaux principes actifs à cet effet», affirme Sung Ryul Choi, biochimiste au PSI et l’un des premiers auteurs de l’étude.

Pour élucider la structure des vasohibines, les chercheurs ont recouru à la Source de Lumière Suisse SLS. «Si nous avons pu mener à bien nos travaux sur la structure en cinq mois environ, c’est uniquement parce que nous avons ici, au PSI, toutes les expertises et les infrastructures nécessaires réunies sur un même site», souligne Sung Ryul Choi.

Les chercheurs publient à présent leurs résultats dans la revue Nature Structural & Molecular Biology.

Texte: Institut Paul Scherrer/Sebastian Jutzi