Détecter les problèmes de coagulation en 60 minutes

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Le dispositif BlooDe en train d’effectuer les analyse du travail des plaqu
Le dispositif BlooDe en train d’effectuer les analyse du travail des plaquettes. © Université de Franche-Comté

Des chercheurs des universités de Genève et de Franche-Comté ont mis au point un appareil innovant permettant d’investiguer en conditions réelles les capacités des plaquettes du patient à stopper les saignements (hémostase).

Diverses maladies, génétiques ou non, peuvent provoquer des hémorragies ou des thromboses parfois mortelles, découlant notamment de complications lors de chirurgies. Il peut s’agir d’un dysfonctionnement des plaquettes (hémostase), cellules sanguines dont le rôle est de colmater les brèches des vaisseaux sanguins. Afin de pouvoir détecter efficacement et en amont d’éventuelles déficiences de l’hémostase d’un sujet, des chercheurs de l’Université de Genève (UNIGE), de l’Université de Franche-Comté (UFC) et de l’Etablissement français du Sang (Bourgogne Franche Comté), en partenariat avec les Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) et les CHU de Dijon et Besançon, ont mis au point un appareil - BlooDe - permettant d’étudier la capacité de colmatage des plaquettes. En reproduisant artificiellement la circulation sanguine et des brèches dans les parois des vaisseaux, ce dispositif permet de tester les plaquettes du patient en moins d’une heure et avec une précision suffisante, tout en n’utilisant que quelques millilitres de sang. Ces résultats sont le fruit d’une collaboration soutenue par le programme Interreg, qui fait l’objet d’une réunion de clôture le 26 juin prochain.

Une défaillance du système hémostatique - soit notre capacité à lutter contre les saignements - peut provoquer de graves hémorragies (le sang ne s’arrête plus de couler) ou au contraire des thromboses (le sang ne circule plus) pouvant, dans les cas les plus graves, conduire à la mort du patient, ou du moins compliquer la vie quotidienne en l’émaillant de saignements de faible abondance mais inconfortables. Les plaquettes sanguines assurent la première ligne de protection contre les saignements en colmatant rapidement les brèches dans la paroi des vaisseaux sanguins. La coagulation proprement dite lui succède et la consolide ; c’est elle qui est altérée dans l’hémophilie.

Aujourd’hui, une prise de sang permet de comptabiliser les plaquettes, afin de savoir si elles sont en nombre suffisant pour remplir cette tâche. Mais il n’existe pas encore de moyen fiable pour déterminer si, même suffisamment nombreuses, elles remplissent correctement leur rôle dans du sang en mouvement. «Or, connaître la capacité hémostatique d’un patient est primordial avant une intervention médicale à risque d’hémorragie, précise Thomas Lecompte, professeur à la Faculté de médecine de l’UNIGE et médecin au Département de médecine des HUG.

En effet, un traitement médicamenteux peut modifier cette aptitude soit en la ralentissant, soit en l’augmentant, conduisant ainsi à des risques d’hémorragies ou de thromboses que l’on pourrait éviter si nous savions plus précisément combien de temps il faut pour que les plaquettes de ce patient comblent une brèche. Or il n’est plus possible de conduire cette exploration en pratiquant une petite entaille superficielle dans la peau à l’avant-bras, comme cela s’est longtemps pratiqué.»

Un dispositif qui s’approche au plus près des conditions réelles de circulation du sang

Les scientifiques de l’UNIGE et de l’UFC Franche-Comté se sont associés pour mettre au point cet appareil permettant d’analyser rapidement le travail des plaquettes de chaque patient, grâce à un financement dans le cadre du programme Interreg Suisse-France 2014-2020 d’un montant de 445’000 euros (fonds européens, et fédéraux et cantonaux en Suisse). «Il nous fallait recréer un système qui non seulement reproduit le mouvement du sang liquide, mais aussi des brèches dans la paroi des vaisseaux,» explique Wilfrid Boireau, directeur du Département de Micro Nano Sciences et Systèmes (MN2S) de l’institut FEMTO-ST (UFC - CNRS). En effet, lorsque le sang quitte le vaisseau sanguin à cause d’une brèche, il rencontre de nouveaux éléments qui déclenchent le «système d’alarme» permettant aux plaquettes d’intervenir pour colmater la brèche.

Ils ont ainsi créé un petit appareil, nommé BlooDe, qui reproduit le mouvement de la circulation sanguine et dans lequel on insère des cartouches jetables. Un système de pompe fait circuler le sang à analyser dans des microcanaux façonnés à l’intérieur de ces cartouches. «Quelques millilitres suffisent pour obtenir un résultat informatif,» se réjouit Thomas Lecompte. Le sang circule alors dans un équivalent artificiel de paroi vasculaire lésée et les plaquettes entrent en jeu. «Il nous faut ensuite observer le temps qu’il faut aux plaquettes pour s’accumuler à cet endroit en quantité suffisante pour arrêter le saignement,» relève-t-il. Chez une personne qui ne présente aucun trouble du système hémostatique, cinq minutes suffisent. «Au-delà de 10 minutes, il y a un réel souci qu’il faudra prendre en compte lors du traitement de ce patient.»

Pour la première fois pour une application médicale, BlooDe permet non seulement de reproduire de manière fiable et quasi identique le fonctionnement plaquettaire qui se produit dans l’organisme (’in vivo’), mais il fournit également des données précises sur les capacités hémostatiques du sujet. «En moins d’une heure, nous pouvons disposer de toutes les informations nécessaires à la bonne prise en charge du patient,» s’enthousiasme Thomas Lecompte. BlooDe remplit ainsi deux fonctions principales : la première est d’identifier, chez les personnes souffrant d’une défaillance du système hémostatique, la provenance du mauvais fonctionnement des plaquettes dans leur environnement naturel. La seconde est de connaitre, chez les personnes qui vont se faire opérer, leur capacité hémostatique pour déterminer quel traitement médicamenteux donner pour minimiser les risques.

Un relais industriel prévu en 2021

Le prototype de BlooDe a passé avec succès les premiers tests en laboratoire auxquels il a été soumis, avec des sangs normaux, modifiés ou provenant de patients. Afin d’envisager une validation clinique à grande échelle et une commercialisation, les chercheurs travaillent aujourd’hui sur l’amélioration de certains de ses composants, notamment les cartouches, et débutent le scale-up en vue d’une production industrielle. Une utilisation en conditions médicales réelles est également en cours. «Notre objectif est d’obtenir le relais d’ici 2021 d’une industrie spécialisée dans les appareils in vivo, afin de pouvoir commercialiser BlooDe,» conclut Thomas Lecompte.


21 juin 2019