Interactions à long terme entre prématurité, stress maternel et QI des enfants

 (Image: Pixabay CC0)
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Une équipe de scientifiques de l’Université de Lausanne-CHUV a montré qu’un faible stress maternel peu après une naissance prématurée permettait de prédire un QI plus élevé de l’enfant 11 ans après la naissance, soulignant l’importance de la santé mentale de la mère pour le bien-être transgénérationnel.

Chaque année, environ 10% des bébés naissent prématurément (moins de 37 semaines de gestation). Bien que les procédures médicales assurent un taux de survie élevé dans la plupart des pays développés, une naissance prématurée peut avoir des conséquences à long terme. Celles-ci incluent des difficultés scolaires plus importantes, un risque accru de troubles psychiatriques et des quotients intellectuels (QI) moins élevés, mais toujours dans la norme, par rapport à leurs pairs nés à terme. Ces différences sont souvent attribuées aux effets de la prématurité sur le développement du cerveau.

Cependant, l’importance du bien-être de la mère tout au long de la vie de son enfant et son impact sur les relations parent-enfant sont souvent négligées. Plus spécifiquement, les liens entre les symptômes de stress posttraumatique maternels et les conséquences sur l’enfant au-delà de la petite enfance étaient inconnus à ce jour. Ces découvertes permettent de soutenir les modèles d’intervention précoces et préventifs mis au point pour minimiser les conséquences à long terme de la prématurité.

Dans une étude publiée aujourd'hui dans Scientific Reports , un groupe de scientifiques suisses a découvert que, même si les facteurs de risque périnataux, tels que la sévérité de la prématurité ou le poids du bébé, expliquent en partie les difficultés des enfants nés prématurément, la détresse émotionnelle maternelle semble être un facteur prédictif plus important pour les capacités d'intelligence à la préadolescence.

Pour démontrer cela, les chercheurs ont suivi un groupe de 54 enfants et leurs mères jusqu’à l’âge de onze ans. Parmi ces enfants, trente-trois sont nés très prématurément et les autres sont nés à terme. à la naissance, des informations démographiques et socio-économiques ont été récoltées ainsi qu’un inventaire des facteurs de risque périnataux du bébé sous la forme d’un score combiné basé sur des éléments tels que les scores d’Apgar, l’âge gestationnel, le tour de tête du nourrisson, l’électroencéphalogramme, la durée de la ventilation, la présence ou non de sepsis et / ou de méningite et la présence ou non d’infection congénitale. A l’âge de 18 mois, les mères ont rempli un questionnaire standardisé sur la base des critères du DSM-IV, permettant d’évaluer la présence de symptômes de stress post-traumatique (ESPT) depuis la naissance de l’enfant. Enfin, onze ans après la naissance, le QI des enfants a été évalué et les symptômes d'ESPT maternels ont été à nouveau récoltés.

L’équipe a notamment observé que plus la mère signalait des symptômes d’ESPT lorsque l’enfant avait 18 mois, moins le score de QI de l’enfant prématuré à 11 ans était élevé, ceci même après avoir tenu compte de la sévérité de la prématurité. Plus spécifiquement, les chercheurs ont pu montrer que les symptômes d’ESPT de la mère affectaient négativement les compétences verbales de l’enfant, qu’il soit né prématurément ou à terme.

Cette recherche est le fruit d'une collaboration entre psychologues, pédopsychiatres, néonatologues et neuroscientifiques du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) et de l'Université de Lausanne (UNIL), soutenue par le Fonds national suisse de la recherche scientifique, la Fondation Oak, la Fondation Asile des aveugles et un mécène conseillé par Carigest SA.

La doctoresse Carole Müller-Nix, pédopsychiatre au CHUV et MER clinique à la Faculté de biologie et de médecine de l'UNIL, souligne: ’Nos résultats renforcent le soutien au modèle diathèse-stress et l'importance de prendre en compte la détresse émotionnelle de la mère et son effet sur l'interaction mère-enfant dans le développement des enfants nés avant terme. Le modèle de diathèse-stress suggère qu’en considérant l’immaturité physiologique des bébés prématurés et les capacités d’autorégulation plus faibles qui lui sont liées, ces enfants dépendent davantage de leur environnement pour réguler leur comportement, en particulier lorsqu’ils sont exposés à de la détresse émotionnelle.’

La naissance prématurée d'un enfant représente un événement traumatisant particulièrement difficile sur le plan émotionnel, stressant à la fois pour l'enfant comme pour ses parents. Le développement prématuré du nouveau-né est immature et il n’est physiologiquement pas prêt pour la vie en dehors de la matrice utérine. De plus, l'environnement sensoriel dans l'unité de soins intensifs néonatals est très atypique, sans compter les expériences de séparation et les soins médicaux douloureux et stressants qui peuvent avoir un impact important sur le développement, touchant y compris le système endocrinien, la structure fine du cerveau, la cognition, les émotions et le comportement.

Les parents présentent souvent des symptômes de stress post-traumatique après une naissance prématurée, non seulement pendant l'hospitalisation de l'enfant, mais également longtemps après le retour à domicile. Les taux de symptômes d’ESPT varient d’une étude à l’autre, mais se retrouvent environ chez 15 à 18% des mères présentant des complications périnatales. Certains travaux ont déjà montré que les mères en détresse émotionnelle peuvent être moins sensibles aux signaux de l’enfant, ayant de la peine à répondre d’une façon ajustée à ses besoins et souvent centrées sur leurs propres difficultés émotionnelles. Une des difficultés auxquelles ces mères peuvent se trouver confrontées est d’être moins disponibles pour soutenir le développement de l’enfant par le biais de réponses comportementales appropriées. En retour, l’enfant peut ne pas se sentir accompagné dans ses besoins neuro-développementaux et cela peut affecter sa régulation émotionnelle, son comportement, son développement social autant que ses capacités cognitives.

Le Prof. Micah Murray, neuroscientifique au CHUV et professeur associé à la Faculté de biologie et de médecine de l'UNIL, a déclaré: ’Dans leur ensemble, ces résultats soulignent l’importance de prendre en compte non seulement la situation médicale de l’enfant prématuré, mais également le bien-être mental de la mère dans le but de favoriser un développement optimal de l’enfant.’

La présente étude souligne l’importance de la détection précoce des symptômes de l’ESPT chez la mère et, par extension, des interventions qui aident la régulation émotionnelle à long terme chez les mères et dans les interactions mère/parent-bébé (par exemple, l’observation conjointe du bébé hospitalisé en néonatologie, parent-soignants et psychologues, l’intervention par biofeedback chez la mère basée sur la variabilité du rythme cardiaque). Le groupe a déjà travaillé sur de telles approches. Certains modèles d’intervention semblent réduire les symptômes de l'ESPT chez la mère dès le premier anniversaire de l'enfant et améliorer la qualité de l'interaction mère-enfant. Cependant, l'intervention précoce présente des avantages pendant la petite enfance, mais semble avoir des effets modérés à long terme. Compte tenu de l'impact potentiel des symptômes de l'ESPT chez la mère, ces travaux suggèrent une intervention plus longue mettant l'accent sur la détresse émotionnelle de la mère ainsi que sur la qualité des interactions mère-enfant.

L'équipe poursuit actuellement deux axes de recherche stimulants. D'une part, ils élaborent de nouvelles stratégies d'intervention lorsqu'une mère présentant une symptomatologie d'ESPT élevée est identifiée. D'autre part, ils fournissent une caractérisation détaillée des différences sensorielles et cognitives qui persistent chez les enfants nés prématurément lorsqu'ils deviennent adolescents.