Des chercheurs de l’UNIGE, des CJBG et d’HEPIA ont identifié sur le territoire cantonal les sites les plus importants pour la biodiversité, révélant les défis territoriaux à relever pour maintenir ou renforcer ce patrimoine.
La biodiversité, qui englobe l’ensemble de nos richesses naturelles, est à la fois un patrimoine irremplaçable et le meilleur rempart aux effets des changements climatiques. Elle assure de nombreux services essentiels à la vie, comme la purification de l’air et de l’eau ou la production des denrées alimentaires. Des chercheurs de l’Université de Genève (UNIGE), des Conservatoire et Jardin botaniques de la Ville de Genève (CJBG) et de la Haute école du paysage, d’ingénierie et d’architecture de Genève (HEPIA), en partenariat avec la Ville et l’Etat de Genève, ont mis au point une méthode inédite qui analyse à la fois biodiversité et services rendus par les écosystèmes, pour identifier les sites les plus précieux à la survie de tous les êtres vivants. Appliquée au canton de Genève ’ où l’on recense plus de 40% des espèces qui existent en Suisse ’ cette méthode révèle les lieux qui forment la colonne vertébrale de notre biodiversité, que l’on appelle «infrastructure écologique», à préserver en priorité pour le bénéfice de l’ensemble du territoire. Des résultats à lire dans la revue Sustainability.
Aujourd’hui nous savons que le bon fonctionnement de nos sociétés dépend directement de celui de la nature. Et pour que la nature puisse assurer toutes ses fonctions et s’adapter aux changements, notre territoire doit veiller au maintien d’une infrastructure écologique en bonne santé. Celle-ci désigne l’ensemble des réservoirs de biodiversité ’ les sites les plus accueillants pour un grand nombre d’espèces animales et végétales ’ et des corridors biologiques qui relient ces lieux et assurent leur vitalité. «Il convient dès lors d’identifier et de classer par ordre de priorité les zones de grande valeur écologique, puis de tenir compte de ces zones dans l’aménagement du territoire», souligne Erica Honeck, chercheuse à l’Institut des sciences de l’environnement (ISE) de l’Université de Genève et première auteure de l’étude.
En 2018, le canton de Genève a fixé dans sa Stratégie Biodiversité 2030 l’objectif de redynamiser son infrastructure écologique cantonale en identifiant notamment les 30% du territoire les plus importants pour le maintien de la biodiversité et de ses fonctions. Des objectifs similaires ont été fixés aux échelles suisse et européenne. Ainsi, notre environnement naturel, déjà victime des changements climatiques en cours, pourra mieux faire face au réchauffement global et aux événements météorologiques extrêmes. «Cette infrastructure contribuera aussi à contenir la hausse des températures à Genève par un effet thermo-régulateur», appuie Anthony Lehmann, professeur et vice-directeur de l’Institut des Sciences de l’Environnement de l’Université de Genève.
Une méthode inédite pour saisir le «big data» du patrimoine naturel
Identifier ces portions sensibles du territoire constitue un véritable défi, car il faut tenir compte des multiples dimensions de la biodiversité. Pour localiser les aires prioritaires de conservation, les équipes de recherche ont combiné une quantité colossale de données numériques et géolocalisées relatives à notre patrimoine naturel. «Nous avons tenu compte de la distribution de plus de 900 espèces de plantes et d’animaux, mais aussi des connexions nécessaires aux espèces pour se déplacer, se nourrir et se reproduire, ainsi que de neuf services écosystémiques majeurs rendus par la biodiversité, par exemple la régulation de la qualité de l’air, la pollinisation des plantes cultivées, le contrôle de l’érosion des sols ou la capture du CO2», précise Nicolas Wyler, conservateur aux Conservatoire et Jardin botaniques. Toutes ces informations ’ avec une résolution de 25x25 mètres ’ ont été intégrées dans un logiciel qui attribue à chaque pixel du territoire une valeur relative de priorité située entre 1 et 100. La carte couvrant l’ensemble du canton permet d’identifier à quels endroits il faut prioritairement maintenir, développer ou reconstituer l’infrastructure écologique. La prise en compte des services écosystémiques, prévue dans la méthode, permet de dessiner une infrastructure écologique multifonctionnelle dont l’utilité dépasse la conservation de la biodiversité pour inclure les bienfaits dont notre société tire parti.
Visualiser les zones prioritaires
«Cette carte nous indique que seule environ la moitié des réservoirs de biodiversité se trouve dans des aires dont la protection est suffisamment assurée: réserves naturelles, forêts publiques ou zones non-constructibles. Les autres se situent sur des zones qui ne sont pas à l’abri de dégradations, comme par exemple des parcelles privées mais aussi certaines parcelles publiques sans statut de protection ou suivi particuliers», précise Bertrand von Arx, directeur du service de la biodiversité du département du territoire (DT) de l’Etat de Genève. Ces zones identifiées pourront faire l’objet de plus d’attention et de mesures particulières pour assurer le maintien de leur fonctionnalité.
«A l’heure actuelle, les infrastructures humaines (routes, bâtiments, canalisations, etc.) sont encore trop souvent mises en place en morcelant, altérant ou détruisant l’infrastructure écologique nécessaire à la biodiversité et au fonctionnement des écosystèmes», martèle Claude Fischer, professeur à HEPIA. Cette étude répond donc concrètement aux besoins des collectivités publiques en matière de planification de l’aménagement du territoire, notamment en identifiant les enjeux territoriaux dans ce domaine. Les résultats de cette recherche pourront ainsi contribuer très concrètement à la mise en oeuvre de la Stratégie Biodiversité du canton de Genève.
10 mars 2020