La puissance et la vitesse de propagation des ondes d’un tremblement de terre dépend principalement des forces exercées en profondeur sur les roches le long d’une faille, démontre le chercheur à l’EPFL François Passelègue. Ses modélisations en laboratoire permettent de mieux comprendre les conditions de déclenchement des séismes.
Souvent pas ou à peine perceptibles, parfois dévastateurs, les tremblements de terre font partie des grands événement géologiques rappelant que notre planète est en perpétuelle évolution. Depuis une cinquantaine d’années, les scientifiques parviennent à toujours mieux comprendre ces secousses résultant des mouvements des plaques tectoniques, à l’aide de capteurs répartis un peu partout sur le globe. Mais il reste encore énormément à découvrir pour savoir comment et pourquoi ils se produisent.
François Passelègue, chercheur au Laboratoire expérimental de mécanique des roches de l’EPFL (LEMR) , au sein de la Faculté ENAC, étudie depuis dix ans les mouvements de rupture le long des failles, ces zones entre deux plaques tectoniques où se produisent la très grande majorité des séismes. Dans un article publié le 12 octobre dans la prestigieuse revue Nature Communications , il expose ses dernières découvertes offrant une meilleure compréhension des mécanismes de rupture, qui se propagent le long des failles en occasionnant des glissements sismiques.
On sait que dans la nature, la vitesse de rupture de croisière varie du mm par seconde au km par seconde à partir de la nucléation [l’augmentation exponentielle du glissement, NDLR], et on comprend mal pourquoi certaines ruptures vont très lentement, alors que d’autres vont vite. C’est pourtant important de le savoir, car plus la rupture est rapide, plus l’énergie accumulée le long de la faille est relâchée en un cours laps de temps.
Qu’il soit lent ou rapide, un tremblement de terre peut libérer la même quantité d’énergie. Seulement, elle le sera dans le premier cas sur une très longue période, ce qui permet à l’environnement d’absorber les ondes. Il s’agit là des séismes lents, tout aussi fréquents que les séismes normaux, mais imperceptibles par l’homme. Dans le second cas, plus rare, l’énergie sera relâchée en quelques secondes, induisant des ondes à très hautes fréquences potentiellement dévastatrices.
C’est le cas notamment en Italie, territoire exposé aux séismes par sa position sur une zone de frictions entre deux plaques tectoniques. La plupart des tremblements de terre n’y sont pas ou peu perceptibles, mais certaines fractures peuvent être meurtrières, comme le séisme du 2 août 2016, qui avait fait 298 victimes.
« Une même faille peut faire tous les types de sismicité »
Au LEMR, François Passelègue a reproduit une faille expérimentale dans des conditions de température et de pression imitant une profondeur jusqu’à 8 km et y a placé des capteurs pour déterminer les conditions conduisant à ces deux types de ruptures. « Il y a déjà eu beaucoup d’hypothèses, la plupart des scientifiques pensaient que ça vient de la nature des roches. Par exemple, des calcaires ou argiles promeuvent selon eux des tremblements de terre lents, alors que des roches plus dures comme du granit, sont censées produire des sismicités rapides. »
En laboratoire, le chercheur a utilisé une roche complexe comparable au granit. Sur la faille, il est parvenu à reproduire tous les types de sismicité. « Donc ça ne vient pas forcement des propriétés des roches. Nous montrons qu’une même faille peut faire tous les types de sismicité. »
Au LEMR, François Passelègue a reproduit une faille expérimentale dans des conditions de température et de pression imitant une profondeur jusqu’à 8 km. © 2020 Alain Herzog
Les expériences de François Passelègue lui permettent d’affirmer que la quantité d’énergie relâchée et le laps de temps nécessaire dépendent plutôt de la contrainte initiale exercée le long de la faille, c’est-à-dire la force appliquée sur le système, surtout liée à la tectonique des plaques. En imposant des forces sur le système étudié, il a constaté que plus les contraintes sont élevées, plus la rupture est rapide, alors que si elles sont faibles, la rupture se propage lentement. « Ce que nous avons pu reproduire en laboratoire est interprétable sur les phénomènes naturels », signale le chercheur.
Repenser l’aléa sismique
En plus de ses observations grâce à la modélisation, le chercheur a élaboré des équations prenant en compte pour la première fois la contrainte initiale, et non l’énergie pure calculable juste avant le séisme, qui était déjà théorisée.
François est l’un des premiers à arriver à mesurer en laboratoire les vitesses de rupture des roches dans les conditions de pression et de température de la nature. Pour la première fois, il a pu modéliser le phénomène physiquement, et montrer que tous les tremblements de terre obéissent aux mêmes lois physiques
L’auteur de l’étude prévient que sa modélisation ne permettra pas de savoir quand et où un séisme va se déclencher, car il est encore impossible de déterminer en temps réel la contrainte exercée sur les roches le long d’une faille, tant la profondeur est importante. « On peut dire à partir de quelle contrainte il y aura une rupture, par contre on ne sait pas à quelle vitesse la faille se ’charge’ en profondeur. »
Avec son article et les implications de sa recherche, François Passelègue veut inciter à repenser l’aléa sismique. « La plupart des gens ont tendance à penser que les failles qui se déplacent de manière stable dans le temps ne peuvent jamais générer de gros tremblements de terre. Or nous montrons que quelle que soit la faille, on peut avoir tous les types de sismicité. On ne peut pas négliger qu’une faille qui a l’air inoffensive à l’heure actuelle ne puisse pas, d’un coup, propager une rupture rapide et dangereuse. »