Le cytosquelette, cible de nouveaux médicaments

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Tobias Mühlethaler dans l'installation de production de cristaux du PSI, sé
Tobias Mühlethaler dans l'installation de production de cristaux du PSI, sélectionnant les cristaux appropriés pour l'étude (Photo: Institut Paul Scherrer/Mahir Dzambegovic)

Grâce à une combinaison unique de simulations informatiques et d’expériences de laboratoire, des chercheurs de l’Institut Paul Scherrer PSI ont découvert de nouvelles cibles pour des principes actifs - par exemple contre le cancer - sur une protéine vitale du cytosquelette. Onze des domaines de liaisons qu’ils viennent de découvrir étaient inconnus jusque-là. L’étude est publiée dans la revue spécialisée Angewandte Chemie International Edition.

La tubuline est une protéine et un composant central du squelette cellulaire, également appelé cytosquelette. Dans les cellules, les molécules de tubuline s’ordonnent pour former des structures en forme de tubes. Ce sont ces filaments, appelés microtubules, qui confèrent leur forme aux cellules. Ils contribuent également par exemple au transport de protéines et de grands composés cellulaires, et jouent également un rôle décisif lors de la division cellulaire.

La tubuline assume donc des fonctions très diverses dans la cellule et interagit pour ce faire avec beaucoup d’autres substances. «Le nombre de protéines et de petites molécules auxquelles la tubuline peut se lier est stupéfiant, il y en a plusieurs centaines au moins», explique Tobias Mühlethaler, doctorant au Laboratoire de recherche biomoléculaire du PSI et auteur principal de l’étude. C’est par ce genre de liaison que la fonction de la protéine est contrôlée. De nombreux médicaments, également, s’associent à la tubuline et inhibent ainsi, par exemple, la division cellulaire dans les tumeurs.

«Dans ce projet, nous avons exploré la question fondamentale combien de domaines de liaison figuraient en tout sur cette si importante protéine, poursuit Tobias Mühlethaler. Si nous en découvrons de nouveaux, il se pourrait qu’ils puissent être exploitables dans une perspective thérapeutique.»

Du virtuel au laboratoire

En collaboration avec l’Instituto Italiano di Tecnologia à Gênes, les chercheurs ont étudié la structure de la protéine dans le cadre de simulations informatiques: ils ont identifié des zones au niveau desquelles d’autres molécules seraient susceptibles de particulièrement bien s’arrimer à la tubuline. Ces zones sont ce que l’on appelle des poches ou des cavités de liaison.

Ensuite, les chercheurs ont recherché ces zones lors d’expériences réelles en laboratoire. Pour ce faire, ils ont utilisé la méthode du criblage de fragments: les scientifiques ont utilisé des centaines de cristaux de tubuline qu’ils ont plongés dans des solutions contenant des fragments de molécules qui sont typiques en tant que composés de départ de principes actifs prometteurs. Pendant une heure, les cristaux ont pu s’imprégner de la solution de fragments. Puis ils ont été repêchés du liquide et radiographiés grâce au rayonnement synchrotron. Le diagramme de diffraction ainsi généré permet aux chercheurs de calculer la structure de la protéine composant le cristal, et ainsi de déterminer si, et où, des fragments de molécule se sont liés à la protéine.

«Les deux méthodes, simulations informatiques et criblage de fragments, ont leurs avantages et leurs faiblesses, rappelle Michel Steinmetz, directeur du Laboratoire de recherche biomoléculaire. En les combinant, nous nous assurons de ne rater aucun domaine de liaison sur la protéine.»

Onze nouveaux domaines de liaison

En tout, les chercheurs ont découvert 27 domaines de liaison auxquels des molécules et d’autres protéines peuvent s’arrimer sur la tubuline. «Onze d’entre eux n’avaient encore jamais été décrits», précise Tobias Mühlethaler. Par ailleurs, les chercheurs ont identifié 56 fragments qui se lient à la tubuline et qui, potentiellement, pourraient convenir au développement de nouveaux principes actifs.

Comme le soulignent les chercheurs, cette approche est applicable à d’autres protéines. «Nous avons mis au point une méthode qui permet d’identifier facilement ce qu’on appelle des composés chefs de files, et donc de nouveaux points de départ pour le développement de principes actifs», explique Michel Steinmetz. Cette méthode convient pour toutes les protéines dont il existe des cristaux de haute qualité, note-t-il.

«La recherche de nouveaux composés chefs de file potentiels, appelés aussi ’lead molecules’, est un point fort de la recherche à la Source de Lumière Suisse SLS, ajoute Michel Steinmetz. Elle revêtira encore plus d’importance une fois que l’upgrade SLS 2.0, prévu pour les prochaines années, aura été réalisé.»

Texte: Institut Paul Scherrer/Brigitte Osterath