Les coraux du golfe d’Aqaba et leurs partenaires symbiotiques, algues et microbactéries, ne souffrent pas de façon significative de la chaleur, a constaté une équipe de l’EPFL.
Même dans les scénarios les plus optimistes, la plupart des écosystèmes coralliens des océans de la planète, de l’Australie aux Caraïbes en passant par les Maldives, auront disparu ou seront très mal en point d’ici à la fin du siècle. Poussés à la limite de leur seuil de tolérance par la hausse des températures marines, ils perdent leurs principales alliées, des algues unicellulaires qui, en échange d’un abri sûr dans leur arborescence, leur fournissent par photosynthèse les nutriments nécessaires à leur alimentation. Les algues contiennent une série de piments qui parent les coraux de leurs belles couleurs et c’est leur disparition qui provoque le phénomène bien connu de blanchissement. Cependant, dans ce tableau à l’avenir monochrome, les coraux de la mer Rouge gardent leur couleur.
« Nous savons que les coraux du nord de la mer Rouge, dans le golfe d’Aqaba sont particulièrement résistants aux températures élevées. Mais nous avons voulu étudier le mécanisme moléculaire de cette résistance à la chaleur dans sa globalité », explique Romain Savary, premier auteur de l’étude publiée aujourd’hui dans la revue PNAS. Les résultats sont éloquents : les coraux, ainsi que leurs indispensables acolytes les algues et les microbactéries, résistent sans ciller à des températures moyennes excédant de 5 degrés ce à quoi ils sont habitués. Or en dépit de la gravité du changement climatique en cours, la hausse de température des eaux de la mer Rouge ne devrait pas dépasser ce seuil d’ici à la fin du siècle. « Cela offre un réel espoir pour la préservation d’au moins un des plus importants écosystèmes coralliens », se réjouit Anders Meibom, directeur du Laboratoire de géochimie biologique (LGB) à l’EPFL.
Comme si de rien n’était
Anticipant l’avenir, les chercheurs ont soumis les coraux du golfe d’Aqaba à une palette de niveaux de température y compris celles susceptibles de se produire dans les prochaines décennies. Alors que la moyenne mensuelle des températures maximales de l’eau est d’environ 27 degrés dans cette région, les coraux ont été exposés à des chaleurs respectivement de 29,5°C, 32°C et 34,5°C. A court terme, durant 3 heures, et à long terme, durant une semaine. Pendant la période de stress thermique et après, les chercheurs ont mesuré l’expression des gènes du corail et de son algue symbiotique ainsi que la composition de la communauté bactérienne résidente.
« La découverte principale est que l’on s’est rendu compte que ces coraux vivent encore bien en dessous du seuil de tolérance que peut supporter leur mécanisme moléculaire, ce qui les met à l’abri des hausses de températures pour 100 voire 200 ans, résume Romain Savary, post doctorant au LGB. Jusqu’à 32°C en tout cas, nous avons pu mesurer qu’ils se remettaient sans séquelles moléculaires et s’acclimataient à une courte comme à une longue période de chaleur, de même que leurs partenaires symbiotiques. » Un réel espoir pour les scientifiques. Même si la température n’est de loin pas la seule menace qui pèse sur ce patrimoine naturel exceptionnel...
Ces résultats offrent un réel espoir pour la préservation d’au moins un des plus importants écosystèmes coralliens
L’analyse génétique des échantillons, une première à cette échelle, montre comment ce corail hyper résistant réagit au niveau le plus fondamental, celui de l’expression des gènes. Cela permet d’établir une référence pour définir des « super coraux ». « Le travail de Romain permet de montrer, au niveau génétique ce qui permet aux coraux de survivre, résume le professeur. L’étude souligne aussi le fait que c’est un véritable concert d’expression génétique qui confère ce super pouvoir aux coraux. » Elle permet ainsi de définir ce à quoi doit ressembler l’expression génétique d’un « super corail » pendant un stress thermique et une période de récupération. De quoi doucher les espoirs de manipuler génétiquement des coraux moins résistants. Pourrait-on alors utiliser les coraux de la mer Rouge pour repeupler par exemple la Grande barrière de corail ? « Le corail est extrêmement dépendant de son milieu et en général seule une longue colonisation naturelle lui permettrait de s’adapter ailleurs. En outre, la Grande barrière de corail a la taille de l’Italie, c’est impossible de la réensemencer artificiellement », rappelle Anders Meibom.
Naviguer dans le futur
Ces travaux ont été possibles grâce à deux instruments uniques, le Red Sea Simulator (RSS), mis en place par l’Institut universitaire pour les sciences marines à Eilat, en Israël, et un système américain mobile de diagnostic de blanchissement (Coral bleaching autonomated stress system, CBASS). Ils posent ainsi les bases d’un projet beaucoup plus ambitieux qui démarre cet été pour une durée de quatre ans, mené par le Centre de recherche transnational de la mer Rouge (TRSC), créé par l’EPFL en 2019. « A bord du bateau de notre partenaire la Fondation Pacifique, Fleur de passion, nous allons parcourir toute la mer Rouge afin de cartographier très précisément quel est le niveau de tolérance thermique et la diversité des différentes espèces de coraux sur ses 2000 kilomètres de long, précise Anders Meibom. Plus on va au sud, plus la température augmente avec une variation entre les deux extrémités d’environ 5 à 6 degrés. C’est pour cela que la mer Rouge est un véritable laboratoire grandeur nature pour étudier les écosystèmes. En voguant vers le sud, on navigue dans le futur. »
Et que voit-on - Au sud de la mer Rouge, certains coraux commencent déjà à blanchir. Pour Romain Savary il n’y a qu’une seule solution : « Les protéger et les préserver des sources de stress locales, essentiellement la pollution et la destruction physique. Et ceci, dans le but de maintenir un stock de « super coraux naturels » capables de potentiellement recoloniser de façon naturelle les zones qui seront touchées dans le futur par les vagues de chaleur liées au changement climatique. »
ReferencesFast and pervasive transcriptomic resilience and acclimation of extremely heat tolerant coral holobionts from the northern Red Sea. Romain Savary, Daniel J. Barshis, Christian R. Voolstra, Anny Cárdenas, Nicolas R. Evensen, Guilhem Banc-Prandi, Maoz Fine, and Anders Meibom; PNAS