En géolocalisant les écarts sur l’espérance de vie à la naissance dans le canton de Genève, des chercheurs et chercheuses de l’EPFL et des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) ont produit une analyse qui met au jour l’existence d’inégalités: les zones défavorisées ne correspondent toutefois pas à celles habituellement observées dans le cadre d’études précédentes.
L’espérance de vie à la naissance est aujourd’hui en Suisse l’une des plus élevées du monde. Elle est passée de 71 ans en 1960 à 82 ans en 2010, selon l’Office fédéral de la statistique. Le statut social d’un individu, à l’exemple de son revenu et de son niveau de formation, joue un rôle crucial sur sa santé et son espérance de vie. Ainsi, en analysant l’espérance de vie dans le canton de Genève au niveau local, des chercheurs et chercheuses du laboratoire Giraph (Geographic Information Research and Analysis in Population Health), liés à l’EPFL et aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), ont imaginé retrouver la même répartition des inégalités en termes d’espérance de vie en fonction des quartiers favorisés et moins favorisés identifiés dans le cadre d’études précédentes. Ces études montraient en effet une prépondérance de problèmes de santé publique dans les quartiers les plus multiculturels et les plus modestes du canton de Genève. Or, la carte produite dans cette étude met en évidence d’autres zones. Leur recherche, parue dans la revue Scientific Reports , est la première à appliquer une géolocalisation de précision à l’espérance de vie en Suisse.
«Notre travail montre l’intérêt de la géolocalisation pour cette question et pose un premier diagnostic qui mérite d’être investigué plus en avant pour comprendre l’origine des disparités que nous avons trouvées», explique Anaïs Ladoy, première autrice et doctorante à l’EPFL au sein de la Faculté de l’environnement naturel, architectural et construit. «Parfois, les différences d’espérance de vie changent beaucoup d’un côté à l’autre d’une même rue», indique Stéphane Joost, co-auteur correspondant et maître d’enseignement et de recherche au sein du Laboratoire des systèmes d’information géographique EPFL (LASIG).
Années gagnées ou perdues
Les inégalités face à l’espérance de vie se calculent en fonction de la date et du lieu de naissance et de la date de décès d’une personne. Ainsi, un homme né en Suisse en 1960 peut espérer vivre en moyenne jusqu’à 71 ans. Les années de vie supplémentaires valent comme «années gagnées» et un décès avant 71 ans comme «années perdues». Pour cette étude, les chercheurs et chercheuses ont analysé 22’000 décès publiés dans la Feuille d’avis officielle du canton de Genève de 2009 à 2016. L’empreinte géographique des inégalités à l’espérance de vie a pu être déterminée à l’aide d’analyses géospatiales, en tenant compte des différences liées à la nationalité, l’âge et le sexe des personnes ainsi qu’aux caractéristiques démographiques et socio-économiques des quartiers.
Facteurs inconnus
«Le fait que les quartiers les moins favorisés ne montrent pas systématiquement le plus d’années de vie perdues nous fait penser que ces inégalités ont d’autres facteurs que la précarité ou un faible niveau d’éducation au niveau local. On peut par exemple vivre longtemps, malgré une maladie chronique. Les années de vie gagnées et perdues intègrent la totalité des facteurs auxquels sont exposés les gens au cours de leur vie, alors que dans nos autres études, les variables utilisées ne reflètent qu’une infime partie de cette exposition», commente Stéphane Joost. Depuis plusieurs années, le géographe consacre une partie de sa recherche à l’EPFL à aider les autorités compétentes à mieux cibler les campagnes de prévention de santé publique. «Ces travaux sur l’espérance de vie viennent compléter des études précédentes et permettent de dresser une analyse spatiale de précision des états de santé dans le canton de Genève, ce qui est l’un des objectifs majeurs du groupe Giraph», observe de son côté Idris Guessous, médecin-chef du service de médecine de premier secours aux HUG.
A noter que l’étude tient compte de limitations telles que la présence de maisons de retraite dans certaines rues, la nationalité des défunts, qui induit une espérance de vie à la naissance différente, mais qui n’a pas pu être intégrée au modèle, ou encore, le fait que les chercheurs ignoraient depuis quand les défunts avaient emménagé dans ce qui allait être leur dernière demeure.
ReferencesAnaïs Ladoy, Juan R. Vallarta-Robledo, David De Ridder, José Luis Sandoval, Silvia Stringhini, Henrique Da Costa, Idris Guessous & Stéphane Joost, «Geographic footprints of life expectancy inequalities in the state of Geneva, Switzerland», Scientific Reports, 2 December 2021. DOI : 10.1038/s41598-021-02733-x