Imagerie de la cinétique chimique aux interfaces liquide-liquide

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Jet plat présentant une luminescence bleue due à l’oxydation du luminol. L
Jet plat présentant une luminescence bleue due à l’oxydation du luminol. La photographie représente les feuilles formées par le croisement de deux micro-jets liquides, s’écoulant de gauche à droite, et montre que la première feuille est caractérisée par un écoulement laminaire. Par conséquent, il se forme une interface liquide-liquide qui peut être utilisée pour mesurer la cinétique chimique. Crédit : A. Osterwalder (EPFL)

Des scientifiques dirigés par l’EPFL ont mis au point une nouvelle méthode de mesure de la cinétique chimique par l’imagerie de l’évolution d’une réaction à une interface liquide-liquide intégrée dans un micro-jet liquide à écoulement laminaire. Cette méthode est idéale pour étudier la dynamique à l’échelle de temps inférieure à la milliseconde, ce qui est très difficilement réalisable avec des méthodes existantes ce jour.

Il s’agit d’une nouvelle application de ce que l’on appelle les jets plats d’eau», déclare Andreas Osterwalder de la Faculté des Sciences de Base de l’EPFL. «Nous préparons une interface contrôlée entre deux solutions aqueuses et l’utilisons pour mesurer la cinétique chimique.»

Les micro-jets liquides à écoulement libre permettent aux chimistes de créer une surface lisse (et, selon l’implémentation, aussi plane) contrôlable d’un liquide qui peut être utilisée pour étudier la diffusion ou la spectroscopie de surface. L’écoulement libre du liquide dans l’air ou dans un vide crée un accès optique non obstrué aux interfaces gaz-liquide et liquide-vide.

Parmi les principales applications des micro-jets figurent la spectroscopie photoélectronique à rayons X, la dynamique d’évaporation, la génération d’impulsions attosecondes et la chimie gaz-liquide. Une variante courante est le jet cylindrique unique, réalisé en forçant un liquide à sortir par une buse de 10 à 50 micromètres de diamètre et sous une pression de quelques bars, ce qui donne un jet laminaire avec une vitesse d’écoulement de quelques dizaines de mètres par seconde.

Ces micro-jets ont récemment suscité un grand intérêt pour les applications sous vide, où les jets se déplacent librement et restent liquides sur quelques millimètres avant de se décomposer en gouttelettes et de geler. «De nombreuses expériences nécessitent une surface plane qui empêche les effets indésirables de la surface dépendant de l’angle», explique Andreas Osterwalder. Pour répondre à cette exigence, les scientifiques ont mis au point différentes configurations de surfaces planes à écoulement laminaire, produisant ce qu’on appelle des jets plats liquides.

Feuilles liquides

Une forme courante d’une telle configuration est de croiser deux jets cylindriques d’un liquide. Le jet plat obtenu est une chaîne de structures en forme de feuilles du liquide qui s’écoule. Les «feuilles» mesurent seulement quelques microns d’épaisseur. Chacune est liée par un bord de liquide relativement épais et est stabilisée par la tension superficielle et l’inertie du liquide.

Au croisement des deux jets cylindriques, les solutions sont poussées vers l’extérieur, tout en se déplaçant globalement vers l’avant. Mais la tension superficielle des solutions qui s’écoulent s’oppose à cela, si bien que les limites extérieures finissent par fusionner pour créer la forme de «feuille».

«Ces jets à écoulement libre produisent une structure en feuilles, où nous avons émis l’hypothèse que, dans l’absences de turbulences, les liquides s’écoulent l’un à côté de l’autre dans la première feuille, formant une interface entre deux liquides», précise Andreas Osterwalder. «Nous pensions que cela en ferait un excellent outil pour accéder à l’interface liquide-liquide, même de liquides miscibles - des liquides qui se mélangent de manière homogène, et même de deux échantillons de solvants identiques.»

Les scientifiques ont testé la configuration à jet plat dans l’étude de la cinétique de la réaction de chimiluminescence de l’oxydation du luminol, une réaction phosphorescente qui émet une lumière bleue lorsque le composé organique luminol est oxydé. Cette réaction est connue des enquêtrices et enquêteurs criminels à la recherche de traces de sang, mais elle est aussi couramment utilisée dans les essais de recherche biologique.

En utilisant la réaction du luminol, les chercheurs ont confirmé que le jet plat contient effectivement une interface liquide-liquide, plutôt que des solutions mélangées par des processus turbulents. Ils ont également démontré une technique pour les études de cinétique chimique dans des conditions contrôlées. La méthode du jet plat présente l’avantage de ne pas nécessiter de mélange rapide des solutions et de bénéficier de jets à écoulement libre qui ne sont pas perturbés par la friction sur les parois du récipient.

«Nous pensons que c’est une approche prometteuse pour mesurer la cinétique chimique à l’échelle de temps inférieure à la milliseconde, ce qui est très difficilement atteignable avec les technologies actuelles, et pour étudier la dynamique fondamentale aux interfaces liquide-liquide», termine Andreas Osterwalder.

Autres contributeurs

  • Institut Fritz-Haber de la Société Max-Planck
  • Académie tchèque des sciences
  • Université de Cassel
Funding

Fonds national suisse de la recherche scientifique

Fondation allemande pour la recherche (DFG)

Centre Max-Planck-EPFL pour les nanosciences moléculaires

References

H. Christian Schewe, Bruno Credidio, Aaron M. Ghrist, Sebastian Malerz, Christian Ozga, André Knie, Henrik Haak, Gerard Meijer, Bernd Winter et Andreas Osterwalder. Imaging of Chemical Kinetics at the Water-Water Interface in a Free-Flowing Liquid Flat-Jet. JACS 28 avril 2022. DOI: 10.1021/jacs.2c01232