Entre nuit et jour: le pouvoir d’adaptation des mouches

Expression du neuropeptide Pdf (vert) dans le cerveau (violet) de Drosophila sec
Expression du neuropeptide Pdf (vert) dans le cerveau (violet) de Drosophila sechellia. © Droit d’auteur Michael Shahandeh et Richard Benton - CIG, UNIL
La plupart des plantes et des animaux sont exposés à de nombreuses variations environnementales. Une étude parue dans la revue «Nature» et menée par l’équipe de Richard Benton, professeur au Centre intégratif de génomique de l’Université de Lausanne, s’intéresse plus particulièrement à la capacité d’adaptation de la drosophile face aux fluctuations de la durée du jour.

Les espèces à vaste répartition géographique, comme l’être humain, sont confrontées à de multiples variations environnementales, qu’elles gèrent grâce à la flexibilité, ou ’plasticité’, de leurs comportements. Cette aptitude à s’adapter au monde qui les entoure est cruciale pour leur survie. Toutefois, les mécanismes moléculaires qui la sous-tendent demeurent mal compris. Il est ainsi important de décrypter comment la plasticité comportementale est régulée par les gènes et le système nerveux, afin de comprendre comment les espèces largement répandues ont évolué pour faire face aux changements environnementaux et comment elles s’adapteront à un climat en mutation.

Au coeur du cycle circadien

La longueur du jour est un facteur qui fluctue en fonction des saisons et de la latitude. De nombreuses espèces, comme certaines mouches, ajustent leur rythme circadien (cycle d’activité quotidienne) pour s’adapter à ces variations de la durée du jour.

Dans une étude publiée le 16 octobre 2024 dans la revue Nature, Michael Shahandeh , ancien post-doctorant dans le groupe du Pr Richard Benton au Centre intégratif de génomique de la Faculté de biologie et de médecine de l’Université de Lausanne, compare deux espèces de drosophiles afin d’examiner les différences de flexibilité comportementale. Drosophila melanogaster, connue aussi sous l’appellation de ’mouche du vinaigre’, est présente dans le monde entier; elle subit dès lors de grands changements dans la longueur du jour et démontre une forte plasticité circadienne. à l’inverse, Drosophila sechellia, endémique des Seychelles, une région proche de l’équateur, connaît des fluctuations de jour bien moindres et affiche une plasticité plus réduite.

Pour comparer la plasticité circadienne de ces deux espèces, les scientifiques les ont soumises à un cycle circadien imposé d’une longue journée: 16 heures de lumière. Cette contrainte a eu des conséquences néfastes sur le ’fitness’ (entendu ici comme la capacité à survivre et à se reproduire) de D. sechellia, habituée à une durée de jour constante de 12 heures. ’Cette espèce a perdu sa capacité à retarder son pic d’activité du soir en cas de photopériode plus longue; par conséquent, les longues journées sont stressantes pour elle et son taux de reproduction a baissé de moitié, tandis que D. melanogaster est restée parfaitement fertile’, commente Richard Benton.

Définir les éléments génétiques critiques

Grâce à un crible génétique, les biologistes sont ensuite parvenus à découvrir un rôle clé du gène (Pigment-dispersing factor) dans cette divergence entre espèces. ’Ce gène est responsable de l’expression du neuropeptide Pdf, qui est critique pour l’activité circadienne. Comme on s’y attendait, le remplacement du gène de D. melanogaster par celui de D. sechellia a réduit la capacité de D. melanogaster à retarder son pic d’activité dans des conditions de longue journée, rapporte le professeur lausannois. D. melanogaster est comme une ’’éprouvette génétique’’ pour nous. Cette expérience a permis de révéler que les différences entre les gènes de D. sechellia et D. melanogaster contribuent aux écarts comportementaux entre ces deux espèces.’ Les spécificités du gène de D. melanogaster expliquent en partie pourquoi cette espèce s’est largement répandue à travers le monde, alors que D. sechellia s’est spécialisée dans une seule niche.

Explorer d’autres formes de plasticité comportementale

Richard Benton mentionne par ailleurs des recherches antérieures qui suggèrent l’importance du neuropeptide Pdf chez des espèces de drosophiles vivant à des latitudes plus élevées, présentant une flexibilité de l’activité circadienne encore plus marquée que celle de D. melanogaster. ’Ces observations laissent à penser que ce neuropeptide est un facteur évolutif clé chez les drosophiles dans le développement de la plasticité circadienne. étant donné que le Pdf est également présent chez de nombreux autres arthropodes, tels que les moustiques dont la répartition mondiale s’étend, il pourrait jouer un rôle similaire chez ces derniers. De manière plus générale, nos travaux pourraient inspirer l’exploration d’autres formes de plasticité comportementale impliquant d’autres mécanismes cellulaires et moléculaires chez différentes espèces animales. Par exemple, les oiseaux chanteurs modifient leurs fréquences de vocalisation en réponse aux bruits causés par l’activité humaine, et les lézards changent leur comportement de repos en réponse à l’altitude, mais nous ne savons rien des mécanismes qui sous-tendent ces phénomènes.’