Des bonnes intentions aux bonnes pratiques avec la coordinatrice 3R de la FBM

Depuis 2018, Stéphanie Claudinot exerce la fonction de coordinatrice 3R à la Faculté de biologie et de médecine de l’Université de Lausanne. Elle explique ce que ce rôle implique au quotidien et comment il a évolué au fil du temps.

’Les 3R’ est une expression incontournable quand on parle de l’expérimentation animale. Derrière cette abréviation se cachent trois principes pour améliorer le bien-être des animaux en laboratoire: Remplacement, Réduction et Raffinement. Pour que ces concepts ne restent pas de simples déclarations d’intention, il est essentiel qu’ils soient concrètement mis en oeuvre par des personnes engagées.

La DreSc. Stéphanie Claudinot est l’une d’elles. Coordinatrice 3R au sein de la Faculté de biologie et de médecine (FBM) de l’Université de Lausanne depuis six ans, la biologiste du développement s’investit dans l’élaboration de plans d’action concrets, en collaboration avec les directions de l’expérimentation animale et des animaleries. Elle accompagne les chercheuses et chercheurs, les équipes des animaleries ainsi que la Direction de l’Université dans l’adoption de pratiques responsables, tout en veillant à ce qu’elles s’intègrent harmonieusement à l’excellence scientifique. Interview.

’Coordinatrice 3R’ sonne bien sur le papier, mais dans la pratique, ça peut sembler un peu vague. Concrètement, que faites-vous au quotidien à la FBM’

C’est vrai qu’au début, mon rôle n’était pas toujours clair pour tout le monde. Quand j’ai pris ce poste en 2018, c’était une période de découvertes autant pour moi que pour mes collègues. Aujourd’hui, mes missions principales s’articulent autour de trois axes. Premièrement, j’assure la relation entre l’Université de Lausanne et le Centre de compétence suisse 3R ( 3RCC ) au niveau administratif. Cela signifie que je siège au conseil exécutif du 3RCC en tant que représentante de l’Université de Lausanne, et à l’inverse, je fais entendre la voix des 3R dans les stratégies développées au sein du Décanat de la FBM et du Rectorat de l’Université. Par exemple, je participe à la task force ’Expérimentation animale’ qui regroupe l’Université de Lausanne, le CHUV et l’EPFL, et se réunit régulièrement pour coordonner les efforts.

Deuxièmement, je conseille les scientifiques de la FBM sur les ressources disponibles afin d’améliorer leurs pratiques, faisant le lien direct avec le 3RCC. Cela peut inclure des financements de projets ou des formations s’inscrivant dans des méthodologies de recherche alternatives. En parallèle, j’accompagne les équipes des animaleries dans la mise en oeuvre des 3R dans le soin aux animaux. Un exemple est l’intégration récente de techniques de manipulation douce* dans toutes nos animaleries. C’est important pour moi d’impliquer autant les scientifiques que les animalier·ères, qui sont les personnes en contact quotidien avec les animaux.

Troisièmement, je fais partie de plusieurs groupes de travail à l’interne du 3RCC, où nous menons des projets pour faire avancer la recherche et l’enseignement les 3R. Cela inclut par exemple l’enseignement des 3R depuis l’école secondaire jusqu’aux étudiant·es en doctorat, le développement d’outils de financements, et l’organisation de formations et d’événements.

Qu’est-ce qui vous a motivée à prendre cette fonction’

Pour commencer il faut savoir que j’ai toujours aimé les animaux. Je suis une de ces personnes qui aide un hérisson ou une salamandre à traverser la route. Mes premières études, à Paris, étaient en biologie marine. Je me suis ensuite réorientée vers la biologie du développement pour ma thèse, ce qui m’a amenée à Lausanne suite au déménagement de mon groupe de recherche. Pendant toutes ces années, j’ai toujours travaillé avec des animaux dans différents contextes, tout en m’intéressant aux questions éthiques que soulève la recherche sur et avec les êtres vivants.

C’est ce qui m’a poussée à me former aux aspects législatifs et éthiques de l’expérimentation animale, en parallèle à mes activités en tant que chercheuse en laboratoire. J’ai notamment obtenu le certificat suisse, le ’ Module 2 ’, obligatoire pour diriger des expériences sur les animaux. J’ai été ensuite responsable des autorisations d’expérimentation animale dans un groupe de recherche au CHUV, puis à épalinges, où j’ai continué à travailler après mon doctorat. Cela m’a permis d’acquérir une solide expertise quant à la législation, en éthique et dans la pratique de l’expérimentation animale. J’ai suivi l’évolution des normes, notamment le renforcement du concept des 3R.

Quand la FBM a créé le poste de coordinatrice 3R, j’ai été séduite par l’idée de contribuer activement au changement de culture dans la recherche utilisant des animaux. Pendant cinq ans, j’ai combiné ce rôle avec une activité de recherche à 50%, ainsi qu’avec la responsabilité de mettre en place une animalerie de souris axéniques et gnotobiotiques (en anglais: germ-free facility) à la FBM. Cela signifie que ces souris sont maintenues dans un environnement très contrôlé, où l’on s’assure qu’elles ne sont pas exposées à des germes ou des microbes. Aujourd’hui, je ne fais plus de la recherche mais je porte encore les deux casquettes de coordinatrice 3R et de responsable de la germ-free facility, ce qui est parfois un défi, mais les deux missions se complètent plutôt bien. Ce qui me motive au quotidien est de travailler à la fois avec des scientifiques, des animalier·ères, des étudiant·es, des responsables administratifs et des autorités réglementaires, tout en étant intégrée dans le réseau du 3RCC. De plus, je suis très reconnaissante du fort soutien institutionnel pour cette cause tant au niveau du Décanat de la FBM que de la Direction de l’Université de Lausanne.

Pour donner des exemples concrets, quels projets menez-vous actuellement à la FBM et quelles activités aimeriez-vous développer à l’avenir’

Mon activité principale en ce moment est l’optimisation de la gestion des élevages de souris. Comme l’a bien expliqué Isabelle Grandjean, cheffe de l’animalerie d’Agora, dans une récente interview , le nombre de rongeurs élevés dépasse souvent celui des animaux effectivement utilisés dans les expériences. Cela concerne notamment les souris génétiquement modifiées, qui constituent un contingent important. Une de mes missions clés est d’adapter et d’optimiser les stratégies d’élevage pour tous nos groupes de recherche afin d’améliorer ce ratio. Je fais régulièrement l’inventaire des animaux hébergés par chaque équipe et les rencontre pour proposer des mesures d’amélioration. Ensuite, nous élaborons ensemble, avec les responsables d’animalerie, des plans d’action pour les mettre en pratique.

Mon deuxième cheval de bataille, c’est l’intégration de la ’ Culture of care ’. Il s’agit d’une charte, mise en place par le 3RCC et signée par l’Université de Lausanne, qui vise à améliorer non seulement le bien-être des animaux, mais aussi celui des personnes qui s’en occupent, en particulier les animalier·ères. Leur rôle est essentiel dans la recherche, car ce sont les personnes qui s’occupent des animaux quotidiennement; pourtant, elles sont souvent oubliées. C’est pourquoi je préfère utiliser les termes ’soigneur·euse animalier·ère’ ou ’gardien·ne d’animaux’ qui reflètent mieux leur rôle. J’apprécie beaucoup le terme anglais animal caretaker, qui capture parfaitement la dimension de soin et d’attention qu’elles et ils apportent au quotidien. Un autre point crucial pour moi dont on ne parle pas assez est la fatigue compassionnelle, c’est-à-dire une fatigue physique et émotionnelle liée au domaine du soin. C’est un sentiment qu’elles et ils ne verbalisent pas toujours. Donc cela me tient à coeur qu’on agisse sur ce point et que leur travail soit mieux reconnu et valorisé. C’est dans cet esprit que nous avons créé en 2024, avec le Décanat et la direction des animaleries, le ’Prix 3R animalier·ères ’ à la FBM, qui récompense une personne ou une équipe ayant réalisé un

à l’avenir, j’aimerais renforcer la visibilité et le soutien pour des projets 3R menés par les scientifiques de notre faculté. D’un côté, il y a les projets financés par le 3RCC que j’aimerais voir davantage à la FBM. Mon objectif est d’intensifier mon rôle de conseil pour les chercheur·euses ayant des idées de recherches sur les 3R, c’est-à-dire des projets visant à développer de nouveaux outils ou techniques de remplacement, de réduction ou de raffinement. Actuellement nous en avons trois excellents exemples au Département de neurosciences fondamentales , chacun illustrant un aspect des 3R. D’un autre côté, de nombreux projets en cours au sein de la faculté incarnent déjà les 3R, mais restent peu visibles. Je pense par exemple aux chercheur·euses qui n’utilisent que des méthodes de remplacement comme les organoïdes ou les cellules souches. Afin de mieux les mettre en valeur, je les encourage à me contacter.

Et pour ne pas m’ennuyer, j’aimerais bien intensifier mes activités d’enseignement en biologie mais aussi en médecine! (Rires.) Je participe déjà à la formation des étudiant·es, tant au niveau préque post-gradué, sur tout ce qui concerne les 3R. Mais j’aimerais développer davantage de formations et organiser des événements dédiés aux 3R, ouverts à différents publics: étudiant·es, chercheur·euses, gardien·nes d’animaux, mais aussi au grand public.

* La manipulation douce des animaux consiste en l’utilisation de techniques de préhension minimisant leur stress et leur inconfort durant les expérimentations. L’une des méthodes les plus recommandées est le ’tunnel handling’, qui permet de manipuler les rongeurs sans les attraper par la queue. Les animaux sont ainsi guidés dans un tube ou entourés à l’aide des mains, offrant une manipulation plus naturelle et moins invasive. Ces techniques, pratiquées par le personnel des animaleries et par les chercheur·euses de la FBM, contribuent non seulement au bien-être des animaux mais aussi à la qualité des données scientifiques en réduisant les biais liés au stress animal.

interview in English here.

Pour aller plus loin:


    Exigences légales de formation pour les personnes pratiquant des expériences sur les animaux en Suisse (OSAV)

    événement public: ’ L’utilisation des animaux et de leurs alternatives en recherche: Exemple de l’oncologie ’ (20.11.2024, CHUV Lausanne)



Découvrez le travail quotidien et les projets menés par des gardien·nes d’animaux à la FBM dans un prochain article à l’hiver 2024.