Le Bitcoin se heurte à des coûts énergétiques astronomiques et une empreinte carbone démesurée. Selon Rachid Guerraoui, professeur à la Faculté informatique et communications de l’EPFL, une alternative se rapprochant du zéro-énergie est possible: elle dépend de notre compréhension de ce qui fait la sécurité des transactions.
Selon son directeur Rachid Guerraoui, le système développé au Laboratoire de calcul distribué (DCL) représente un changement de paradigme sur la manière de concevoir les cryptomonnaies - et plus généralement sur la confiance dans le monde numérique. Pour illustrer son propos, il use d’une métaphore légale: tous les acteurs de son système sont « innocents jusqu’à ce qu’ils soient démontrés coupables ».
Le postulat tranche avec le modèle traditionnel du Bitcoin, décrit pour la première fois en 2008 par Satoshi Nakamoto. Il repose sur la résolution d’un problème complexe, appelé « consensus », afin de garantir la sécurité des transactions. Dans ce modèle, chaque acteur du système distribué doit s’accorder sur la validité de l’ensemble des transactions pour se prévenir des tricheurs - qui sinon pourraient par exemple tenter de dépenser deux fois les mêmes jetons numériques (double-dépense). Pour prouver leur honnêteté et rejoindre un consensus, les acteurs doivent exécuter de complexes tâches de calculs - coûteuses en énergie - qui sont ensuite vérifiées par les autres acteurs.
Mais dans leur nouveau système, Rachid Guerraoui et ses collègues renversent cette présomption de culpabilité, qui fait de chaque acteur un tricheur potentiel.
« Nous adoptons une approche minimaliste. Nous constatons que les acteurs n’ont pas besoin de rejoindre un consensus. Ils doivent seulement prévenir les comportements délictueux quand ils se manifestent », explique-t-il. « Nous partons donc du principe que tout le monde est honnête, et que si les acteurs repèrent un tricheur ils vont ignorer cette personne - et seulement cette personne. »
En évacuant l’exigence de consensus, le nouveau système du laboratoire DCL, baptisé Byzantine Reliable Broadcast, peut diriger en toute sécurité des transactions en cryptomonnaie avec un coût énergétique virtuellement nul - « plus ou moins celui d’un échange d’email », explique Rachid Guerraoui. On parle de quelques grammes de CO2, contre une estimation de 300 kilos pour chaque transaction en Bitcoin.
Cette approche pourrait représenter un important avantage sur le Bitcoin, dont on estime la consommation électrique globale proche de celle de l’Autriche , et l’empreinte carbone comparable au Danemark.
La communication est centrale
Comment les acteurs peuvent-ils s’assurer de la sécurité d’une transaction en cryptomonnaie, s’ils ne sont pas certains de l’identité des tricheurs? Selon Rachid Guerraoui, ils doivent seulement communiquer les uns avec les autres.
« Imaginons par exemple qu’un tricheur veuille effectuer un paiement. Le système ne permettra à personne d’accepter son argent avant qu’un échantillon d’acteurs choisi au hasard confirme qu’il n’a pas envoyé cet argent à quelqu’un d’autre. Sinon, le virement ne sera pas accepté », explique-t-il. « Dans les grandes lignes, nous disons que tout ce dont vous avez besoin pour implémenter une cryptomonnaie, c’est d’échanger des informations avec un échantillon d’acteurs. »
Le Byzantine Reliable Broadcast doit précisément son nom à cet élément central de communication - ou « broadcast » - de l’information. Rachid Guerraoui et ses collègues ont publié les résultats théoriques de leur système plus tôt cette année dans les actes de l’ACM Symposium on Principles of Distributed Computing ( ACM PODC ) - l’une des plus prestigieuses conférences dans le domaine. Récemment, ils ont publié un deuxième article pour décrire l’implémentation et la mise à l’échelle de leur algorithme.
Le second article a déjà suscité l’intérêt de l’industrie, pour sa description d’une première alternative au consensus déployable à large échelle. Il a été couronné du Best Paper Award dans l’autre conférence majeure du domaine, DISC 2019 (le 33e Symposium international sur le calcul distribué). La récompense sera remise publiquement à Budapest (Hongrie) à la mi-octobre.
De la banque au partage de vélos
Malgré de moindres exigences en coûts et en énergie, le Byzantine Reliable Broadcast ne sacrifie rien en termes de sécurité des transactions. Bien que son domaine d’application soit plus étroit que Bitcoin - il ne convient qu’aux cryptomonnaies, et non à des transactions plus complexes comme les contrats intelligents - le système peut gérer d’autres formes de devises que la monnaie.
« On pourrait l’utiliser pour une cryptomonnaie abstraite, par exemple pour échanger des biens comme des bicyclettes dans un programme de partage de vélo », songe Rachid Guerraoui.
Avec ses collègues, il prévoit de mettre à disposition de tous son nouveau système sous forme de code open-source, en téléchargement dès la fin 2020.
Cette recherche a été effectuée dans le cadre d’une bourse Proof of Concept de l’ERC, remportée plus tôt cette année par Rachid Guerraoui. Elle vise à développer une nouvelle famille d’algorithme qui ne reposent pas sur le consensus.
Références
The Consensus Number of a Cryptocurrency. Rachid Guerraoui, Petr Kuznetsov, Matteo Monti, Matej Pavlovic, Dragos-Adrian Seredinschi. Proceedings of the 38th ACM Symposium on Principles of Distributed Computing (PODC 2019), July 28-August 3, 2019, Toronto, Canada
Scalable Byzantine Reliable Broadcast. Rachid Guerraoui, Petr Kuznetsov, Matteo Monti, Matej Pavlovic, Dragos-Adrian Seredinschi. Proceedings of the 33rd International Symposium on Distributed Computing (DISC 2019), October 14-18, 2019, Budapest, Hungary
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