Dans le but de favoriser le bien-être de toute sa communauté, l’EPFL a mis en place en 2022 une Task Force santé mentale et bien-être. En novembre dernier, en même temps que l’ouverture de la première semaine de la santé mentale sur le campus, celle-ci a lancé une enquête pour faire un état des lieux de la santé mentale et du bien-être de toute la population EPFL. «Les problèmes liés à la santé mentale sont en augmentation, dans la société en général et en particulier dans le milieu universitaire. La pandémie a sans doute joué un rôle, mais déjà avant celle-ci j’ai entendu beaucoup de personnes faire part de leurs inquiétudes sur l’état de santé mentale de leurs collègues, relève Kathryn Hess Bellwald, responsable de la Task Force santé mentale et bien-être, et viceprésidente associée pour les affaires estudiantines et l’outreach. Nous avons décidé de sonder toute la communauté, car si une partie de la population va mal, cela se répercute sur les autres parties. A ma connaissance, les enquêtes existantes dans le milieu universitaire sont souvent effectuées auprès de la communauté étudiante et doctorante, notre démarche semble donc inédite en ce sens. Cependant, les différentes parties de l’enquête ont toutes été validées lors d’autres études, ce qui fournit des clés d’interprétation.»
Traiter les symptômes et s’attaquer au problème
Le questionnaire a été élaboré par un groupe de travail issu de la Task Force santé mentale et bien-être et par Unisanté (Centre universitaire de médecine générale et santé publique), qui s’est également occupé de récolter et d’analyser les données. Toutes les réponses ont été anonymisées et aucune donnée individuelle n’a été transmise à l’EPFL. Au total, environ 4’300 personnes (23% de sa population), représentatives de toutes les parties de la communauté EPFL, ont répondu à l’enquête. Ce qui est considéré comme un bon taux de réponse.Les résultats montrent que 52,7% de ces répondantes et répondants souffrent d’un symptôme d’épuisement ou plus, avec un plus haut taux chez les femmes (55,8%) que chez les hommes (49,6%). La population étudiante est particulièrement touchée avec un taux dépassant les 60%. «C’est inquiétant et cela doit nous amener à réfléchir sérieusement à notre mode d’étudier et de travailler, non seulement pour trouver des mesures palliatives pour traiter les symptômes relevés par cette enquête, mais aussi pour essayer d’en comprendre les raisons et proposer éventuellement des changements systémiques pour attaquer les racines du problème», souligne Kathryn Hess Bellwald.
Une première mesure pour la communauté étudiante est l’introduction d’une semaine de pause au semestre d’automne dès 2024. Une action largement plébiscitée qui offre une respiration bienvenue au milieu d’un semestre dense suivi par la session d’examen d’hiver. Mais il s’agit aussi de réduire le stress négatif dû à la charge de travail et aux attentes liées à la performance, qui a été identifié comme un prédicteur de l’épuisement mais aussi de la «satisfaction de vie» et de la détresse psychologique (troubles mentaux non psychotiques), qui concernait 30,7% des répondantes et répondants à l’enquête. Un taux élevé et inquiétant même s’il s’avère comparable à celui que l’on retrouve dans la population suisse romande.
Nous souhaitons que les attentes de performance soient bien comprises par tout le monde, que chacune et chacun sache donner et recevoir du feedback de façon constructive, dans une culture de communication transparente et de dialogue
Dès lors, dans un milieu académique très compétitif, comment réduire cette forme de stress négatif? Un groupe de travail a été constitué pour réfléchir à des mesures transversales, et trois autres groupes planchent sur des initiatives ciblées pour le personnel scientifique, le corps administratif et technique et le corps estudiantin. «De nombreuses pistes sont explorées, par exemple : une augmentation de l’offre de formation destinée à toute la communauté pour apprendre à mieux donner et recevoir du feedback, une meilleure gestion des attentes de performance de celles et ceux qui sont évalués et qui évaluent, ou un renforcement du message que l’échec fait partie du processus d’apprentissage, on ne peut pas apprendre ou innover sans prendre de risques et donc risquer l’échec», détaille Kathryn Hess Bellwald.
Informer et former pour agir contre le bullying/mobbing
Le questionnaire a aussi mesuré la fréquence à laquelle les répondantes et répondants ont été confrontés à des actes de bullying/mobbing. Au total, 23.5% des personnes en sont possiblement ou assurément victimes. Les collaborateur·trices scientifiques (sans enseignement) et les doctorantes et doctorants relèvent le plus fréquemment subir ces comportements négatifs, avec un taux de respectivement 28,3% et 31,5%. Pour le corps doctorant, le taux est en hausse puisque selon une enquête de 2019 , 13% des répondantes et répondants souffraient de bullying/mobbing possible et que le taux avéré s’élevait à 7,7%. Ces chiffres sont aujourd’hui de 19,9% et de 11,6%.Étant donné qu’il n’y a pas de point de comparaison pour les autres parties de la communauté, impossible de savoir si cette hausse est une tendance générale ou si elle est propre au corps doctorant. Mais des mesures ont déjà été implémentées, comme la réforme du système de mentorat, et la mise en place d’une formation pour les enseignantes et enseignants qui endossent ce rôle.
«L’école doctorale va intensifier ses efforts pour que les doctorantes et doctorants puissent trouver à l’EPFL les ressources et le soutien nécessaires à leur santé, relève Annalisa Buffa, vice-présidente associée pour l’éducation postgrade. Nous voulons que le parcours doctoral à l’EPFL soit riche, stimulant et sain pour nos étudiantes et étudiants.»
De manière générale, des pistes d’action sont également à l’étude pour renforcer le message que le harcèlement n’est pas acceptable ni toléré, et mieux former les personnes qui ont un rôle d’encadrant. Un an après la création du Réseau Soutien et Confiance (Trust and Support Network, TSN), l’EPFL a aussi engagé ce printemps un Respect Compliance Officer pour la gestion des plaintes de toute la communauté EPFL en matière de harcèlement, violences et discriminations.
Prochaines étapes
«Nous avons désormais des données quantitatives sur lesquelles baser une stratégie pour améliorer la santé mentale et le bien-être sur le campus et en particulier pour proposer des mesures concrètes appropriées. Notre objectif est un campus où les gens se réjouissent d’aller travailler ou étudier car tout le monde se sent soutenu, respecté, apprécié, valorisé, écouté et ressent une appartenance forte à notre communauté. Nous souhaitons que les attentes de performance soient bien comprises par tout le monde, que chacune et chacun sache donner et recevoir du feedback de façon constructive, dans une culture de communication transparente et de dialogue», conclut Kathryn Hess Bellwald.Dès la rentrée académique de septembre, des premières mesures concrètes seront mises en place. Le Réseau soutien et confiance testera notamment une formation de «premier secours en santé mentale» destinée à toutes les personnes intéressées. Son objectif est de donner à chacune et chacun des outils pour soutenir les personnes en difficulté et les orienter vers les bonnes instances, sans se substituer à des thérapeutes. Par ailleurs, 9 au 13 octobre, les «Jours Santé» se dérouleront sur le campus de l’EPFL avec des ateliers, des tables rondes, des conférences et différents événements en lien avec la santé physique et mentale.