Liberté religieuse : le droit au cas par cas

  • > Pour les médias
  • > Pour les alumni
  • > Pour les étudiants
  • > Pour les collaborateurs
  • > For Prospective Students

Quelle est la place réelle de la liberté religieuse de nos sociétés laïques? Chercheur en droit à l’Université de Neuchâtel et juriste à la Confédération, Luc Gonin vient de publier un ouvrage sur la situation juridique en la matière en Suisse au sein du Conseil de l’Europe * . Outre des rappels historiques, le livre rassemble une kyrielle d’arrêts de tribunaux illustrant, à l’occasion, des divergences d’appréciation, ces divergences soulignant le fait que les conclusions des juges dépendent, aussi, de leur sensibilité, du contexte des conflits et de la fonction des protagonistes. Le sujet est d’actualité dans notre pays, à l’heure où le Tessin a accepté une initiative visant indirectement à interdire la burqa dans les lieux publics, décision sur laquelle Luc Gonin nous livre quelques commentaires.

L’initiative tessinoise pourrait ne pas être applicable avant deux ans, selon la Chancellerie d’Etat. C’est le laps de temps éventuellement nécessaire pour vérifier que le texte adopté par la population tessinoise ne contrevient pas à la Constitution fédérale qui garantit, entre autres, la liberté religieuse. « Si, explique Luc Gonin, les Chambres fédérales donnent leur feu vert, ce qui pourrait prendre plusieurs mois, une loi d’application cantonale pourra alors entrer en vigueur. Celle-ci devra en particulier préciser les exceptions à l’interdiction de cacher son visage. » Sa mise en oeuvre définitive, et sur le long terme, dépendra toutefois de sa formulation exacte. « Sera-t-elle suffisamment claire et précise dans sa restriction des droits fondamentaux et cherchera-t-elle à respecter autant que faire se peut le principe de proportionnalité - » s’interroge notamment le spécialiste.

Ce principe de proportionnalité se retrouve dans d’autres jugements relatifs à la liberté religieuse. On se souvient des cours de piscine dont les parents musulmans souhaitaient en interdire le suivi par leurs enfants. Dans un premier cas, le tribunal avait accepté la dérogation, au motif de la liberté religieuse. Dans un autre cas plus récent, la demande a été en revanche refusée, le tribunal estimant que les enfants devaient apprendre à nager pour des raisons d’intégration, mettant ainsi de côté l’argument religieux.

Les situations de conflits ne concernent toutefois pas que l’Islam. Luc Gonin cite ainsi le cas de cette Italienne qui entendait interdire le crucifix accroché dans une salle de classe de la péninsule, jugeant sa présence incompatible avec la mission d’une école publique laïque. La Cour européenne des droits de l’homme (CourEDH) rend un premier arrêt qui lui donne raison en 2009, estimant que tout Etat a l’obligation de « s’abstenir d’imposer, même indirectement, des croyances, dans les lieux où les personnes sont dépendantes de lui ou encore dans les endroits où elles sont particulièrement vulnérables ». Mais deux ans plus tard, la Grande Chambre de la CourEDH analyse plus en détail la portée véritable d’une représentation du Christ dans l’enceinte scolaire. Elle considère que le crucifix dans une classe reste « un symbole essentiellement passif » sans commune mesure avec l’impact que pourrait avoir un discours à portée religieuse sur les élèves, déboutant au final la citoyenne italienne.

* Les propos de ce communiqué engagent uniquement et exclusivement l’auteur de l’ouvrage.