Mettre sous écoute une voiture, un appartement ou un téléphone est un instrument utile pour la police. Des infractions graves peuvent ainsi être plus facilement détectées et des moyens de preuve produits. Mais lorsque ce sont des langues étrangères qui sont parlées, l’utilité de ces écoutes dépend entièrement des interprètes. Or leur rôle - bien qu’essentiel - est très mal connu. Sous la direction de Nadja Capus de la Faculté de droit de l’Université de Neuchâtel, un projet financé par le FNS à hauteur de 771'714 CHF et qui s’étendra sur 3 ans sera lancé début mai pour mieux cerner le rôle de ces interprètes dans la procédure pénale.
L'interception des communications peut être un élément important des enquêtes pénales. L'objectif est de transformer les extraits pertinents d’interceptions de communications en moyen de preuve concernant des délits soupçonnés ou de pouvoir en tirer des indications utiles en vue d’actes de procédures ultérieurs.
Or, cette mesure de surveillance secrète - techniquement possible et très chère - n'est utile que si le contenu des conversations est compris, rendu accessible aux policiers, procureurs et juges par les interprètes. Par conséquent, la justice pénale dépend entièrement de la bonne performance des interprètes. Les interprètes construisent la base pour les interrogatoires ultérieurs et les décisions du ministère public de prendre ou non d'autres mesures coercitives, de diriger l’investigation dans une autre direction ou de continuer sur la trace choisie.
Le rôle des interprètes ignoré par la jurisprudence et par la doctrine
La jurisprudence suisse, basée sur le Code de procédure pénale, ainsi que la doctrine ignorent jusqu'à présent le rôle particulier et puissant de ces interprètes, dont les activités sont très différentes de celles des interprètes de salle d'audience ou d'interrogatoire de police. La recherche scientifique a quant à elle plutôt ciblé le rôle des interprètes en salle d'audience, probablement parce que ce genre d'activité est la plus accessible pour les chercheurs.
Cependant, les interprètes qui interviennent dans l'interception font face à d'autres défis et doivent posséder d'autres qualités que les interprètes de salle d'audience : des compétences linguistiques spéciales comme la connaissance des dialectes, la reconnaissance vocale, un flair criminalistique, sinon même des connaissances d’’ insider ’. Les interprètes écoutent, sélectionnent des extraits, interprètent et transcrivent. Ils contribuent de façon importante à l'inévitable processus d'entextualisation, c'est-à-dire à la façon dont certaines parties des conversations interceptées sont considérées comme incriminantes et transformées en preuves.
Un nouveau projet FNS intitulé ’ Intercepter avec les interprètes ’
Sous la direction de la Professeure Nadja Capus, chercheuse (socio-)juridique à la Faculté de droit de l'Université de Neuchâtel, le projet "Intercepter avec des interprètes" transforme cette activité en sein des enquêtes pénales en un objet de recherche interdisciplinaire. Le projet, financé à hauteur de 771'714 CHF inclut deux partenaires, la Professeure Mira Kadric-Scheiber , chercheuse en traductologie à l'Université de Vienne, la Professeure Esther González-Martínez , chercheuse en sociologie à l'Université de Fribourg ainsi qu’un-e post-doctorant-e, deux assistant-e-s de doctorat et trois assistant-e-s étudiant-e-s qui s’engagent à mener la recherche d’un point de vue juridique, sociojuridique, sociolinguistique et ethnométhodologique pendant trois ans.