Cette année, le prix Marie Heim-Vögtlin du Fonds national suisse est décerné à la chercheuse Charlotte Blattner. Sa thèse de doctorat sur le droit animalier a démontré comment les États pourraient protéger les animaux par-delà les frontières nationales.
(senkrecht)Dans le monde entier, l’industrie animale passe des milliards de poussins mâles au broyeur chaque année : ne pouvant être ni engraissés ni utilisés d’une autre manière, ils sont considérés comme superflus. Le public est largement opposé à cette pratique qui est même anticonstitutionnelle dans beaucoup de pays. Introduire des normes plus contraignantes n’est toutefois pas vraiment efficace car les industries se délocalisent à l’étranger pour échapper aux règles nationales sur la protection des animaux.
La plupart des secteurs qui utilisent des animaux, comme l’agriculture ou la recherche médicale, sont globalisés. "Les États entrent en concurrence pour trouver des zones adéquates", indique la juriste Charlotte Blattner. "Ils adaptent leurs lois aux intérêts des investisseurs et des producteurs et refusent d’imposer des normes efficaces pour protéger les animaux ou de faire appliquer le droit en vigueur." Les animaux sont donc souvent subordonnés à des intérêts économiques et les tentatives de les protéger convenablement échouent.
Protection au-delà des frontières
Charlotte Blattner, la lauréate du prix Marie Heim-Vögtlin (MHV) 2020, travaille sur cette problématique complexe. Sa thèse est consacrée aux moyens de mieux protéger les animaux en dehors des frontières nationales.
À cette fin, elle met le concept de juridiction extraterritoriale issu du droit international au service du droit animalier. Du moment que leur propre législation présente un lien suffisamment étroit avec les faits qui se déroulent à l’étranger, les États peuvent appliquer leurs dispositions juridiques. Un État doté de standards de protection animalière élevés peut exercer sa juridiction extraterritoriale en sanctionnant des entreprises ou ses ressortissants à l’étranger lorsqu’ils enfreignent le droit sur la protection des animaux. De plus, les recherches de Charlotte Blattner apportent également un nouvel éclairage sur la manière dont la souveraineté réglementaire peut être utilisée indirectement, par exemple par le biais de normes d’investissement ou d’interdictions d’importation et d’exportation.
La juridiction extraterritoriale est déjà établie dans la protection des droits humains et en droit économique. Dans ses recherches, Charlotte Blattner montre pour la première fois comment cette approche peut aussi révolutionner le droit animalier en empêchant que les législations nationales sur le bien-être des animaux soient systématiquement court-circuitées, et, de ce fait, en mettant un frein à la déréglementation mondiale.
Distinction pour les chercheuses de premier ordre
Le FNS décerne le prix Marie Heim-Vögtlin tous les ans à une jeune chercheuse qui a fourni des prestations de recherche exceptionnelles. Les lauréates sont des modèles inspirants. Pendant le subside qui leur a été octroyé, elles ont pu atteindre des résultats remarquables et faire avancer leur carrière de manière décisive. À partir de 2020, le prix distingue une ancienne bénéficiaire des instruments MHV, Doc.CH, Postdoc.Mobility, Ambizione ou PRIMA.
Marie Heim-Vögtlin, qui a donné son nom au prix, est la première Suissesse à avoir été admise comme étudiante en faculté de médecine à l’Université de Zurich en 1868. Après avoir obtenu son doctorat, elle a ouvert un cabinet de gynécologie et continué à exercer après la naissance de ses deux enfants. Elle fait figure de pionnière de la lutte pour l’accès des femmes aux études supérieures.