Les progrès technologiques bousculent le droit suisse, qui va devoir évoluer. Sous la plume de deux avocats, la revue Plaidoyer vient de publier un article vertigineux sur le statut juridique des robots. L’un des auteurs, Sylvain Métille, est également chargé de cours à l’UNIL. Rencontre.
En 1954, dans sa nouvelle How-2, Clifford Simak décrit comment un robot défend, en justice, son droit à ne plus être considéré comme un objet, et ainsi à conquérir son autonomie. La machine, nommée Albert, créée pour l’occasion trois douzaines d’avocats électroniques dont la mémoire est farcie de toute la documentation juridique imaginable. Bien sûr, il l’emporte au tribunal.
Ce récit de science-fiction, qui peut être lu comme une métaphore de la fin de l’esclavage, paraît loin de notre réalité. Toutefois, Sylvain Métille, avocat et chargé de cours à l’Institut de Criminologie et Droit pénal, note qu’un algorithme concocté par des professeurs de droit américains prédit de manière assez correcte le comportement de la Cour suprême des Etats-Unis, en fonction des cas et des juges. Grâce à d’immenses bases de données, et dans le domaine de la propriété intellectuelle, la société Lex Machina vend aux entreprises des informations sur la manière dont un juge ou une Cour précises pourrait statuer dans le cas qui les concerne !
Comme le relèvent Nicolas Guyot et Sylvain Métille dans leur article paru dans Plaidoyer (3/15), «il n’existe pas en droit suisse de législation spécifique» aux robots. Ce sont des choses mobilières. Or, les progrès de la technologie bousculent notre cadre légal, qui s’avère inadapté.
Au volant, au scalpel
Depuis mai, une voiture sans conducteur circule dans les rues de Zurich, dans le cadre d’un essai. Quatre Etats américains ont autorisé le véhicule automatique de Google sur leurs chaussées publiques. Quatorze accidents sont déjà survenus, mais sans que la faute n’incombe jamais à la machine elle-même. Dans le domaine médical, des robots assistent déjà certains chirurgiens. Dans quelques cas médiatisés, ils ont même opéré «seuls».
La question de la responsabilité en cas de problème devient donc centrale. Dans leur article, les avocats ont cherché une solution pour la Suisse. Par exemple, doit-on considérer le robot comme une bête - «L’analogie ne fonctionne pas bien, car il existe des normes de protection pour les animaux domestiques, comme par exemple le fait de devoir les garder par deux», sourit Sylvain Métille. Les considérer juridiquement comme des voitures, c’est à dire comme quelque chose de dangereux, «limite les développements possibles dans le domaine de l’intelligence artificielle», ajoute le chargé de cours. Un robot est en effet destiné à interagir avec son environnement, seul, sans que son concepteur ou son possesseur ne contrôle chacune de ses actions.
Des droits !
Les auteurs de l’article avancent l’idée d’une nouvelle catégorie juridique. Le robot serait alors un sujet de droit (et non un objet), débiteur d’obligations (concernant la responsabilité de ses actes) et possédant des droits. Comme un enfant - «Oui, mais avec des droits nettement plus limités, précise Sylvain Métille. La machine pourrait par exemple effectuer des achats à votre place ou conduire votre voiture, même si vous n’avez pas de permis.»
Pour encadrer la question de la responsabilité, les avocats proposent l’obligation du détenteur d’inscrire son robot auprès d’une autorité, de conclure une assurance RC particulière (comme pour une voiture), voire même de prouver que la machine a bien intégré dans ses circuits des normes de base, comme par exemple celles développées par Isaac Asimov.
Cette réflexion mène très rapidement sur le terrain de l’éthique et de la philosophie, où les deux juristes ne s’aventurent pas dans leur article. Mais «plus nous vivrons avec les robots, plus les sentiments d’attachement se développeront », avance Sylvain Métille. Ainsi, le mignon NAO, humanoïde, plaît beaucoup à certains enfants autistes. Une étude de l’Université de Washington a mis en lumière, de la part de soldats, une forme d’empathie perturbante envers un démineur automatique.
Avant d’en arriver à un point de non-retour, comme une émancipation déjà bien traitée dans la littérature de science-fiction du XXe siècle, une adaptation de notre cadre légal concernant les conséquences des actes des robots sur les humains s’impose.
A visiter
« Portrait-Robot », exposition à la Maison d’Ailleurs. Yverdon-les-Bains. Ma-di 11h-18h. Jusqu’au 31 janvier 2016.