Frédéric Erard a eu une inclination précoce pour le droit médical : il décroche sa Maîtrise avec orientation en ’ droit de la santé et biotechnologies ’ à l’Université de Neuchâtel, avant d’obtenir son brevet d’avocat en 2013 à Genève. Mais il se découvre peu d’affinités avec le monde des affaires, et après cette parenthèse genevoise, il décide de retourner à Neuchâtel pour effectuer une thèse - achevée en 2020 - sur le secret médical. Une thèse publiée en Open Access, précise-t-il : la transmission des connaissances est déjà un aspect important pour le jeune docteur.
Son parcours l’emmène encore à Montréal, à l’Université McGill, et au Swiss Institute of Bioinformatics (SIB), dont il prend bientôt en charge le département légal : ’ Cela m’a confronté au monde de la recherche, avec notamment la problématique du partage des données sensibles, et le développement d’infrastructures sur mesure dans le cadre du SPHN, le réseau suisse de santé personnalisée ’. Frédéric Erard côtoie de nombreux chercheurs, multiplie les contacts, avec un agenda en tête : ’ faire converger sciences et droit ’.
Le droit n’est-il pas toujours un peu en retard sur les découvertes scientifiques et les développements qui en découlent ’ ’ Pas forcément, estime l’avocat, car le droit repose sur des principes généraux, qu’on peut appliquer à des situations non prévisibles. ’ Il prend l’exemple de l’assistance au suicide en Suisse, à travers des associations comme Exit et Dignitas, qui s’appuie sur des règles datant du début du XXe siècle, proposées à l’époque dans un tout autre contexte. ’ Le droit est néanmoins appelé à s’adapter, précise-t-il, et cela doit être fait en bonne intelligence et avec de bonnes capacités d’anticipation, en particulier lorsque les domaines concernés évoluent vite. ’
A cheval entre deux Facultés
En parallèle de son mandat au SIB, Frédéric Erard met déjà ’ un pied dans l’académique ’ et enseigne dans le cadre d’UniDistance, mais aussi aux Universités de Genève, Neuchâtel et Lausanne, dans le domaine du droit de la santé et de la protection des données. Lui qui avait déjà un pied dans l’académique, c’est bientôt la jambe et tout le reste qu’il va y mettre en 2024, rejoignant l’Université de Lausanne le 1er février. Avec une petite spécialité, puisque son poste a été créé conjointement par la Faculté de droit, des sciences criminelles et d’administration publique (FDCA) et la Faculté de biologie et de médecine (FBM), sous l’impulsion des Doyens Jean-Daniel Tissot (FBM) et Laurent Moreillon (FDCA), lors de la législature précédente.
Le tout nouveau professeur associé de l’Université de Lausanne enseignera le droit civil à la FDCA, et le droit médical à la FBM, avec également comme mandat de développer des projets de recherche interdisciplinaires au sein de l’Institut des humanités en médecine (IHM). A noter qu’un second poste a été créé, sur le même modèle, dans la santé numérique et le droit du vivant : la professeure Audrey Lebret, venant de l’Université de Copenhague, rejoindra l’IHM en août. Les deux profils sont marqués par une belle complémentarité qui augure de riches projets à venir, se réjouit Frédéric Erard.
’ Mon mandat à la FBM est de renforcer l’enseignement du droit médical. La première étape est bien sûr de définir des objectifs, autrement dit d’auditer l’existant et de le confronter à ce qu’un jeune médecin devrait connaître en matière de droit en 2024. ’ Le droit médical couvre un champ assez large, allant des autorisations de pratiquer à la question du consentement, et donc des capacités de discernement du patient, en passant par le secret médical, les responsabilités civile et pénale, sans oublier des contextes plus spécifiques comme l’interruption de grossesse et l’assistance au suicide.
’ Lorsqu’on donne des informations juridiques, techniques, notre premier objectif est la sensibilisation ; au fur et à mesure que les étudiantes et étudiants avancent dans leur cursus et sont confrontés à la clinique, on va distiller des informations plus pratiques. L’idée n’est donc pas de commencer par un cours-somme, mais de saupoudrer la matière, pour que les étudiants y aient si possible accès au bon moment. ’
L’IA bouscule les habitudes
A côté de son activité d’enseignement, Frédéric Erard est très actif dans la recherche : ’ Ma priorité, c’est de mettre en place mes premiers cours, d’avoir ce socle de base, souligne le professeur fraîchement nommé. Après, j’aurai l’esprit plus libre. Il n’empêche que j’ai de la peine à dire non, à refuser des collaborations qui s’annoncent souvent passionnantes. D’autant que je perçois un accueil très favorable du droit à la FBM, et notamment un intérêt des chercheurs à intégrer cette composante juridique dans leurs projets de recherche. ’
Avec Béatrice Schaad, professeure titulaire en relations hospitalières à l’IHM, et Ralf Jox, professeur d’éthique médicale et directeur de l’IHM, il s’intéresse à l’erreur médicale et à l’excuse : ’ Pour les patients et leurs proches, le plus important, c’est qu’une erreur médicale soit reconnue - c’est même souvent plus important qu’une compensation financière. Mais quel est le statut de l’erreur du point de vue du droit, de l’éthique médicale ou des sciences de la communication ’ On retrouve les mêmes questionnements autour du statut de l’excuse, alors que les Etats-Unis ont mis en place des Apology Laws, qui empêchent que des excuses soient utilisées devant les tribunaux. ’ C’est précisément sur ce type de sujets à caractère interdisciplinaire que Frédéric Erard souhaite concentrer ses efforts de recherche, en tirant profit des nombreuses compétences existantes à l’IHM ou plus largement dans l’écosystème FBM-CHUV-Unisanté.
En outre, Frédéric Erard est partie prenante de deux soumissions pour des NCCR, ou Pôles de recherche nationaux, autour de l’IA et de la santé, dans lesquels la Pre Audrey Lebret est aussi associée pour les aspects juridiques. ’ L’intelligence artificielle soulève énormément de questions juridiques. Il y a bien sûr, gros morceau, la protection des données, mais il faut aussi évoquer le droit des patients, et la question de la discrimination : car si les outils sont mal entraînés, il y a un risque de biais dans la prise en charge. Le problème de la responsabilité est également central : le recours de plus en plus systématique des médecins à l’IA, à des outils d’aide à la décision et de diagnostic, entraîne-t-il une ’ dilution ’ de cette responsabilité ’ Ces évolutions vont sans doute conduire à redéfinir les règles de l’art pour la profession. ’
Et d’ajouter : ’ Dans ce domaine, le rôle du droit, c’est d’abord d’avoir une approche pragmatique, mais aussi du sens critique, autrement dit ne pas être aveuglé par tout ce qui arrive. Le défi, c’est de réussir à sauvegarder la relation médecin-patient, ne pas tout automatiser. ’
Le droit, une aide, pas un frein
Un autre enjeu lié aux nouvelles technologies est l’accès aux données. Frédéric Erard suit donc de près le nouveau programme DigiSanté de la Confédération, qui vise à lever les obstacles à la numérisation du système de santé suisse, en élaborant un mode de gouvernance central des données. C’est valable pour la santé publique, mais aussi pour la recherche : à travers le consentement général, il y a en effet un continuum entre données médicales et données de recherche.
Frédéric Erard travaille avec les data scientists du CHUV, dont le professeur Jean Louis Raisaro, sur la question de l’anonymisation des données : ’ Le problème de l’anonymisation, c’est que cela détériore les données. Et il ne suffit pas d’enlever l’adresse e-mail ou le nom, on court sinon le risque d’une ’ ré-identification ’. Nous privilégions donc différentes approches, dont la pseudonymisation des données (la Loi sur la recherche parle de ’ données codées ’). Toute la difficulté est de mêler exigences juridiques, aspects techniques et impératifs de recherche. ’
Le jeune professeur associé est donc face, dans ses termes, à un ’ joli terrain de jeu ’. Mais il insiste : ’ Je veux montrer que le droit, au sein de l’hôpital, n’est pas juste un empêcheur de tourner en rond, qui vient seulement dire aux gens ce qu’ils ne peuvent pas faire. Au contraire, le droit est là aussi pour les soutenir et peut permettre d’améliorer les choses. Je prends l’exemple de la surcharge administrative : en se demandant quel rôle jouent les contraintes juridiques, on peut aussi chercher des solutions, par des modifications législatives notamment, à cette situation. Il faut reconnaître les droits du patient, certes, mais aussi les droits du soignant. ’
Evènements
Le Pr Frédéric Erard organise deux évènements au CHUV dans le cadre des Rendez-vous de l’IHM :22 mai 2024 : ’ Regulating Medical Artificial Intelligence: A European Patients’ Rights Perspective ’, Hannah van Kolfschooten, Law Centre for Health and Life (LCHL), University of Amsterdam
29 mai 2024: ’ La santé vue par les juristes : un mode de pensée en décalage avec la pratique médicale ’ ’ , Jean-Marc Hausman, Centre de recherche interdisciplinaire sur la déviance et la pénalité, UCLouvain