Visas, Frontaliers, Réfugiés, Islam, Infirmières, Footballeurs... les chercheurs neuchâtelois se penchent sur les migrations contemporaines

Neuchâtel, le 12 avril 2010. Le deuxième numéro de « Géo-Regards : revue neuchâteloise de géographie » est sorti de presse. Fruit de la fusion entre deux revues riches d’une longue histoire, cette publication aborde des thèmes d’actualité dans leur dimension géographique. Pour sa deuxième parution, la revue aborde, sous la direction de Romaric Thiévent et d’Etienne Piguet, la question des migrations, l’un des points forts de la recherche en sciences sociales à l’Université de Neuchâtel.

Le canton de Neuchâtel ne serait pas loin des premières places si un classement mondial des régions d’immigration était effectué ! La proportion de personnes nées à l’étranger - estimée à un bon quart - y est en effet particulièrement élevée. Si ce même classement était appliqué aux villes - lieux par excellence d’arrivée des migrants - La Chaux-de-Fond, Le Locle et Neuchâtel côtoieraient des métropoles aussi fameusement cosmopolites que Londres ou Bruxelles. Il était dès lors tout naturel pour les chercheurs neuchâtelois de se pencher sur les facettes du phénomène et de les mettre en perspective avec des enjeux touchant toutes les régions d’immigration dans le monde :

Pérennité des frontières

Trois auteurs abordent cette thématique. En s’appuyant sur les débats parlementaires du début de la décennie relatifs à la suppression de l’obligation du visa pour les ressortissants roumains et chinois, Raoul Kaenzig montre comment les autorités suisses ont été contraintes de trouver des solutions « proches de l’équilibrisme » afin de concilier des intérêts de politique intérieure avec des considérations de politique internationale. Francesco Garufo étudie en quoi la frontière jurassienne a été constitutive d’une catégorie spécifique de main-d’oeuvre, les bien nommés frontaliers, auxquels a été assigné un rôle particulier dans l’industrie horlogère. Son analyse des archives du personnel d’une grande entreprise de montres entre 1960 et 1980 lui permet d’une part de souligner la relation étroite entre l’emploi frontalier et la conjoncture et d’autre part de souligner le fractionnement de cette main-d’oeuvre en deux segments, l’un peu qualifié et soumis aux aléas de la demande, l’autre stable et très qualifié. Janine Dahinden questionne directement la persistance des frontières nationales en montrant que les réseaux sociaux des neuchâtelois, ou tout au moins de certains d’entre eux, tendent à s’en affranchir à un point jusqu’ici insoupçonné.

Intégration des migrants

L’intégration est abordée sous trois angles. André Pancza et Etienne Piguet se penchent sur l’arrivée de refugiés hongrois à Neuchâtel suite à l’écrasement de la révolution d’octobre 1956 et concluent à une remarquable intégration qui s’explique par l’ouverture dont a fait preuve la Suisse en termes d’accès aux études et à des permis de séjour stables, ainsi que par la rapidité avec laquelle les Hongrois ont pu s’insérer sur le marché du travail helvétique. Romaric Thiévent traite de la politique d’accueil et d’hébergement des requérants d’asile par le canton de Neuchâtel. L’auteur propose une analyse des choix de localisation des centres d’accueil ayant ouvert leurs portes entre 1986 et 2009. Il conclut que l’implantation de ces structures dans de petites communes périphériques constitue toujours un défi politique en termes de dialogue entre les autorités et la population locale mais que ce choix s’explique principalement par la disponibilité d’objets immobiliers pouvant être utilisés lorsque le besoin s’en fait sentir. Kerstin Dümmler et Joëlle Moret questionnent enfin le rapport que les jeunes de confession musulmane établis dans le canton de Neuchâtel entretiennent avec la religion et avec les autres jeunes. S’appuyant sur une enquête auprès de jeunes de toutes confessions, les auteures concluent que les jeunes musulmans de Neuchâtel constituent un groupe fortement hétérogène et que leur rapport à la religion est en fin de compte peu différent de celui des jeunes d’autres confessions.

Nouvelles formes de circulation

On assiste aujourd’hui à une mondialisation du recrutement de main-d’oeuvre qui engendre de nouvelles formes de circulations parfois fort éloignées des migrations classiques. En se basant sur une analyse approfondie de la mobilité des joueurs de football dans le monde, Raffaele Poli remet en question le mythe de la réussite sociale et économique à travers le football particulièrement répandu sur le continent africain. Il montre en effet que les footballeurs recrutés en Afrique tendent à être intégrés de manière plus précaire dans le marché du travail européen que les joueurs d’autres origines et que les trajectoires menant les joueurs vers les clubs les plus prestigieux constituent l’exception plutôt que la règle. Clémence Mercay décrit un phénomène peu étudié mais d’une grande actualité, le recrutement d’infirmières étrangères par les hôpitaux romands, et le met en perspective avec la politique migratoire suisse afin de déterminer la marge de manoeuvre de ces employeurs.

La richesse conceptuelle et empirique des articles présentés dans ce numéro illustre bien le dynamisme de la recherche neuchâteloise sur le thème des mobilités. Elle confirme à quel point la Suisse et tout particulièrement la région neuchâteloise s’avèrent désormais de passionnants laboratoires pour l’étude de toutes les formes contemporaines de circulations.