Dans le macromonde, le frottement ne dépend pas de la vitesse à laquelle deux surfaces se déplacent l’une par rapport à l’autre. C’est pourtant ce que des chercheurs de Bâle et de Tel Aviv ont observé dans des structures spéciales de graphène sur une surface de platine.
En raison de leur frottement potentiellement faible, les matériaux constitués de couches atomiques individuelles sont intéressants pour les applications dans lesquelles le frottement doit être réduit. C’est le cas par exemple des disques durs ou des composants mobiles pour les satellites ou les télescopes spatiaux. Ainsi, le graphène, qui est constitué d’une seule couche d’atomes de carbone disposés en nid d’abeille, est également étudié comme couche lubrifiante potentielle. Des études antérieures ont par exemple montré qu’un ruban de graphène peut être déplacé presque sans frottement sur une surface en or.
Des résultats surprenants sur une surface rugueuse
Lorsque du graphène est déposé sur une surface de platine, cela a un effet décisif sur les forces de frottement mesurables. Des physiciens de l’Université de Bâle et de l’Université de Tel Aviv rapportent maintenant dans la revue scientifique Nano Letters que le frottement dépend dans ce cas de la vitesse à laquelle la pointe d’un microscope à force atomique (AFM, voir encadré) est guidée sur la surface. Un résultat surprenant, car selon la loi de Coulomb en vigueur dans le monde macroscopique, le frottement ne dépend pas de la vitesse.
Avec le substrat de platine, le graphène ne forme plus seulement le motif hexagonal en nid d’abeille composé d’atomes de carbone, mais des superstructures - appelées structures moirées - apparaissent. Il en résulte que la surface n’est plus parfaitement plane, mais présente une certaine rugosité.
Lorsque nous déplaçons la pointe AFM à faible vitesse sur cette surface légèrement ondulée, nous mesurons une force de frottement faible et presque constante", explique Ernst Meyer du Swiss Nanoscience Institute et du département de physique de l’Université de Bâle. Mais à partir d’une certaine valeur seuil, le frottement augmente avec la vitesse de la pointe du microscope à force atomique’, ajoute le premier auteur, le Dr Yiming Song. Plus la superstructure moirée est grande, plus cette valeur seuil à partir de laquelle le frottement devient dépendant de la vitesse est faible".
Comme l’ont constaté les chercheurs, le mouvement de la pointe entraîne une résistance accrue au niveau des bords des superstructures moirées. Les bords des superstructures se déforment élastiquement sous l’effet de la pointe qui pousse, puis se détendent à nouveau lorsque la pression est suffisamment élevée. Cet effet entraîne l’augmentation des forces de frottement, qui sont d’autant plus importantes que la pointe se déplace rapidement. Des simulations et un modèle analytique confirment les résultats expérimentaux de l’équipe de recherche internationale.
Publication originale
Yiming Song, Xiang Gao, Antoine Hinaut, Sebastian Scherb, Shuyu Huang, Thilo Glatzel,Oded Hod, Michael Urbakh, Ernst Meyer
Dépendance de la vitesse de la friction moirée
Nano Letters (2022), doi : 10.1021/acs.nanolett.2c03667
Un microscope à force atomique (AFM) possède une minuscule barre à ressort avec une pointe acérée qui est balayée sur les surfaces à examiner. Des forces d’attraction et de répulsion agissent entre la pointe et l’échantillon, ce qui dévie la barre élastique. Un faisceau laser dirigé sur la barre à ressort, combiné à un photodétecteur, mesure la courbure. Ces mesures sont ensuite assemblées point par point pour donner une image numérique de la surface.
Les pointes de microscope peuvent également être utilisées pour analyser les propriétés magnétiques ou électriques des échantillons. Par exemple, il est également possible d’analyser les forces de frottement qui se produisent lorsque la pointe balaye un échantillon.