Largo films, spin-off de l’EPFL, présente aujourd’hui au Festival du film de Berlin sa plateforme d’aide à la décision pour les producteurs et autres acteurs de l’industrie du cinéma. Grâce à l’intelligence artificielle, ces derniers peuvent désormais générer en quelques minutes des conseils sur la base d’une multitude de critères liés aux diverses étapes de la production : du script à la bande-son, en passant par les acteurs et les émotions générées.
Se lancer dans la production d’un film, même pour les grandes entreprises de la branche, est un pari risqué tant le chemin entre le succès et le flop, parfois retentissant, est étroit. Et le destin de ces réalisations est bien souvent imprévisible. Prévoir les chances de succès d’un film de manière cartésienne sur la base de son scénario, connaître les potentiels revenus générés selon la renommée des acteurs engagés ou encore quelles scènes modifier pour plaire au public visé se profile donc comme une économie substantielle de temps et d’argent. Le logiciel LargoAI, présenté pour la première fois aujourd’hui dans le cadre du Festival du film de Berlin, est capable de comparer tous les éléments nécessaires à différentes étapes de la réalisation. Il est ainsi possible d’interroger le système au stade du scénario, du choix des acteurs, de la bande-son, des changements effectués lors de la post production, etc., et de lui demander des conseils sur les paramètres à modifier pour améliorer son impact.
Deux cent mille acteurs profilés
Pour mettre au point leur intelligence artificielle, les fondateurs de la start-up issue du Laboratoire d’images et représentation visuelle de l’EPFL, ont défini des centaines de paramètres, intégré de nombreuses bases de données - dont le profil de 200 000 acteurs - et passé près de 40 000 films à travers ses algorithmes. Ce système « deep tech » a ensuite été traduit en une plateforme facilement accessible : quelques clics suffisent à modifier les paramètres pertinents. Les résultats apparaissent quelques minutes plus tard sous forme de graphiques colorés et lisibles par les profanes.
Avant de lancer leur plateforme, les cofondateurs ont effectué plusieurs études de cas, dont des films sortis en salle. Les résultats se sont révélés très proches de la réalité. « Pour Venom par exemple, un film de superhéros américain sorti en 2018, notre système prévoyait 201 millions de dollars alors que le chiffre d’affaires réel aux Etats-Unis s’élevait à 213 millions de dollars », note Sami Arpa, l’un des cofondateurs. Pour le film italien Domani è un altro giorno, un long métrage réalisé par Simone Spada, LargoAI a estimé les revenus sur la base du scénario entre 1,6 et 3,9 millions d’euros. Ce qui s’est révélé exact. Pour le film The Gentlemen, sorti le 24 janvier aux Etats-Unis, les algorithmes de la start-up ont prédit une recette de 10.6 millions $ pour la première semaine, ce qui s’est révélé être exactement le montant obtenu.
Des paramètres également pour les cinéastes indépendants
Dans le milieu du septième art, orienter ses choix de manière cartésienne en utilisant des algorithmes a longtemps été tabou. Ce n’est que récemment que les grands studios de cinéma et les sites de streaming ont avoué au compte-gouttes faire appel à ce genre de plateforme. La Warner Bros, a annoncé officiellement début janvier faire appel aux services d’une AI pour « définir la rentabilité des films et d’élaborer des budgets dans le cadre de leur production », précisant bien que cela n’interviendrait pas dans le « processus créatif ». La brèche est donc ouverte et Largo Films va plus loin : « nous intervenons en amont et sur davantage de critères que ce qui existe déjà, souligne Sami Arpa, passionné de cinéma et producteur à ses heures perdues. Notre outil permet de vérifier le potentiel d’un film et agir en conséquence : par exemple éliminer une scène du scénario, modifier la bande-son ou trouver l’acteur qui correspond le mieux au profil recherché et évaluer les retombées financières en conséquence ».
La plateforme présentée aujourd’hui ne vise cependant pas que les gros producteurs, mais également les cinéastes indépendants. Largo.AI inclut des paramètres qui les concernent plus directement. « Elle fournit par exemple des conseils sur les festivals auxquels présenter leur réalisation afin de maximiser l’impact du film tout en limitant les débauches de temps et d’argent », souligne Sami Arpa.
La touche finale reste celle de l’artiste
Quelques essais marginaux ont d’ores et déjà été effectués pour utiliser des intelligences artificielles pour automatiser certaines étapes de la réalisation d’un film. Mais pour l’heure, la réussite d’un film s’apparente toujours à la cuisine d’un chef étoilé. Pour que le plat soit réussi, il faut un bon scénario, un pourcentage d’émotions, d’excellents acteurs... mais la touche finale nécessite un savoir-faire humain, un talent, qui n’est pas prévisible par des superordinateurs.Haut du formulaireBas du formulaireHaut du formulaire Sami Arpa ne voit pas ce programme comme l’ultime solution pour assurer le succès des productions, mais comme Bas du formulaireune aide à la décision. D’une part ces prédictions possèdent le bémol de nombres d’intelligences artificielles : elles sont basées sur des données passées. Les critères des films de demain restent donc perpétuellement à inventer, de nouveaux acteurs talentueux et inconnus au box-office à découvrir. Cela fait également partie de la touche de l’artiste. D’autre part, rien ne laisser parfois présager de succès de films à petits budgets, avec des acteurs inconnus. La sensibilité du public, qui évolue avec les valeurs de la société, pourra encore étonner même les plus exercées des intelligences artificielles.