Des scientifiques de l’EPFL ont trouvé un moyen d’utiliser la topologie pour forcer les photons micro-ondes à se déplacer en sens unique, malgré la présence de niveaux de désordre et d’obstacles sans précédent sur leur chemin. Cette percée ouvre les portes d’une nouvelle génération de circuits haute fréquence et de dispositifs de communication extrêmement robustes et compacts.
Les isolants topologiques sont des matériaux dont la structure force les photons et les électrons qui y circulent à ne se déplacer qu’à leur périphérie de manière unidirectionnelle. Cette circulation se produit alors avec très peu de résistance, même en présence d’obstacles - impuretés, imperfections de fabrications, changement de trajectoire du signal dans le circuit, ou composants placés là volontairement. Normalement, la particule devrait être réfléchie par l’obstacle. Plutôt que d’être réfléchie par l’obstacle, la particule le franchira « comme l’eau d’une rivière rencontrant un rocher », illustre le professeur Romain Fleury, à la tête du laboratoire d’ingénierie des ondes de l’EPFL (Faculté des Sciences et Techniques de l’Ingénieur).
Jusqu’à présent, cependant, cette résistance exceptionnelle aux obstacles s’est limitée à de petites modifications du matériau, entravant ses applications aux nouvelles technologies photoniques. Une difficulté que viennent de résoudre Romain Fleury et son doctorant Zhe Zhang, ainsi que Pierre Delplace du Laboratoire de physique de l’ENS Lyon. Ils viennent en effet de présenter, dans la prestigieuse revue Nature , un isolant topologique dans lequel le transport de photons micro-ondes peut survivre à des niveaux de désordre sans précédent.
« Nous sommes parvenu à créer un cas rare de phase topologique, théorisé comme isolant topologique anormal. Cette phase est une conséquence des propriétés mathématiques des groupes unitaires et fournit au matériau des propriétés de transport uniques et imprévues », explique Zhe Zhang.
De tels circuits topologiques peuvent être très utiles pour permettre les prochaines générations de systèmes de communication.
L’impact potentiel de ces travaux sur la science et la technologie est prometteur. Romain Fleury explique : « Traditionnellement, lors de la conception d’un circuit hyperfréquence, il faut être extrêmement attentif à ce que tout soit parfait pour que l’énergie ne se reflète pas en la guidant le long d’un chemin donné et à travers une série de composants. C’est la première chose que j’enseigne à mes étudiants en génie électrique à l’EPFL. Cette contrainte gênante, appelée adaptation d’impédance, limite intrinsèquement notre capacité à manipuler les signaux ondulatoires. Notre découverte, en revanche, ouvre une voie diamétralement opposée, à savoir l’utilisation de la topologie pour construire des circuits et des dispositifs sans se soucier de ces problèmes d’adaptation d’impédance qui limitent nos technologies actuelles. »
Le Laboratoire d’Ingénierie des ondes travaille actuellement à l’application de ce nouveau phénomène physique dans des applications très concrètes : « De tels circuits topologiques peuvent être très utiles pour permettre les prochaines générations de systèmes de communication, qui nécessitent un haut niveau de reconfigurabilité et de fiabilité », ajoute Romain Fleury. L’équipe explore également comment l’effet pourrait ouvrir de nouvelles portes dans les processeurs photoniques et les ordinateurs quantiques.
ReferencesZhe Zhang, Pierre Delplace and Romain Fleury, Superior robustness of anomalous non-reciprocal topological edge states, Nature, 2021.