Huit pour cent de la population suisse a l’italien comme langue maternelle. Ils vivent au Tessin et dans les Grisons, mais aussi en Suisse romande et en Suisse alémanique. En fait, les statistiques montrent qu’il y a plus d’italophones en dehors de la Suisse italophone qu’à l’intérieur. L’italien étant une langue officielle de la Suisse, les italophones ont le droit d’exiger que les textes officiels de la Confédération, comme la Feuille fédérale ou le livret de vote, soient publiés non seulement en allemand et en français, mais aussi en italien. Selon la loi sur les langues de 2007, les autorités politiques et administratives au niveau fédéral sont tenues de communiquer dans les trois langues officielles que sont l’allemand, le français et l’italien.
’Aucune langue minoritaire au monde n’est probablement mieux protégée juridiquement que l’italien en Suisse. Dans notre pays, il existe un plurilinguisme officiel égalitaire’, explique la linguiste Angela Ferrari de l’Université de Bâle. Avec son collègue, le Dr Filippo Pecorari, elle a commencé à attirer davantage l’attention des scientifiques, des institutions et de la société sur l’italien officiel utilisé par les autorités.
La langue officielle comme miroir de la société
Pour étudier les propriétés linguistiques et pragmatiques de cette langue, les chercheurs ont constitué un vaste corpus de textes officiels issus de différents contextes communicatifs : Ils ont comparé l’italien officiel de la Suisse avec l’italien officiel de l’Italie ainsi qu’avec les autres langues officielles de la Suisse.Lors de l’analyse des textes officiels, ils ont constaté qu’il n’y avait pas de différences significatives entre les textes suisses et italiens au niveau grammatical. En revanche, le vocabulaire des textes suisses diffère en partie de celui des textes italiens.
Les chercheurs en voient la raison principale dans les particularités politiques, sociales et culturelles de la Suisse plurilingue, qui conduisent entre autres à ce que l’on appelle des traductions d’emprunt, lors desquelles des mots sont transférés d’une langue à une autre. Ainsi, en Suisse, on parle de ’medicamento’, alors qu’en Italie, on utilise le mot ’medicina’ pour ’médicament’.
’Ces particularités lexicales de l’italien suisse conduisent souvent - surtout aux yeux des Tessinois - à l’idée que cette variété est inférieure à l’italien d’Italie’, explique Angela Ferrari. ’Ce n’est évidemment pas vrai : l’italien est une langue pluricentrique. Notre italien est une langue d’un Etat autonome qui a et doit avoir le droit de conserver ses propres spécificités, comme c’est le cas pour l’allemand ou le français’.
Même langue, autre mise en œuvre
Outre les particularités lexicales, c’est surtout sur le plan pragmatique qu’une grande différence est apparue dans la communication officielle des deux pays. La comparaison avec les textes d’Italie a montré que les autorités suisses accordent une grande importance à la clarté : Les textes sont adaptés au groupe cible et informatifs, sans pour autant surcharger les destinataires : Les phrases sont courtes, pas trop complexes et le vocabulaire n’est pas trop spécialisé. Nous avons été étonnés de voir à quel point les textes suisses sont plus clairs que les textes italiens", explique Filippo Pecorari.Angela Ferrari précise : ’Même de l’avis de l’Accademia della Crusca, la plus haute instance pour la langue italienne, les textes officiels de l’Italie sont obscurs, bureaucratiques et autoréférentiels. On a le sentiment que les institutions italiennes ne parlent qu’entre elles et ne s’adressent pas aux personnes qui doivent lire et comprendre ces textes’.
L’importance que les autorités suisses accordent à l’accessibilité des textes officiels pour tous se traduit également par la décision d’utiliser de plus en plus le ’langage facile’. Ils sont ainsi plus faciles à comprendre pour les personnes qui, pour des raisons cognitives, psychiatriques ou sociales, ont du mal à comprendre les textes standard. Et les jeunes sont également mieux ciblés depuis la pandémie de Corona. ’Les textes sont devenus plus modernes depuis, car de plus en plus de services fédéraux sont désormais présents sur Instagram’, explique Filippo Pecorari. Vidéos, infographies, emojis, liens et hashtags aident à transmettre aux jeunes des contenus officiels plus rapidement et de manière plus attrayante.
La traduction comme valeur ajoutée
La raison pour laquelle la même langue est utilisée différemment dans les textes officiels en Suisse et en Italie s’explique par des raisons historiques, politiques et culturelles, mais elle tient aussi à leur origine. ’Dans les textes officiels de la Confédération en italien suisse, il s’agit presque toujours de traductions de textes allemands ou français. Pour la qualité des textes, c’est étonnamment une chance’, explique Angela Ferrari. Les traducteurs de la Confédération agissent en quelque sorte comme des ’cobayes’, qui sont les premiers à lire le texte source et à essayer de le comprendre. Ils ont un autre regard sur le texte que son auteur. C’est pour cette raison que les textes traduits sont parfois même plus clairs et mieux construits que le texte original’, explique Ferrari.La traduction de textes officiels a lieu avant que le texte source ne soit définitif. Parfois, le processus de traduction conduit à relire et à modifier le texte original allemand. Si l’on a du mal à traduire, c’est parfois parce que le texte original est mal rédigé", explique Ferrari.
L’italien a encore du retard à rattraper
Par rapport à l’italien écrit, la situation de l’italien parlé est différente. L’équipe d’Angela Ferrari se penche actuellement sur la langue officielle italienne parlée, qui est moins présente à la Confédération. Nous avons constaté que la part de l’italien parlé augmente dès qu’un Tessinois siège au gouvernement fédéral. Toutefois, on constate aussi que les passages d’un discours communiqués en italien ne contiennent jamais les informations les plus importantes, mais se limitent plutôt à des formules de salutations’ La peur et le risque de ne pas être compris par leurs collègues du gouvernement et du parlement poussent les politiciens italophones à s’exprimer en allemand ou en français.Rassembler et analyser un corpus de textes à l’université est une chose. Mais pour Angela Ferrari, il est également important de se confronter à la pratique et de partager les résultats avec les autorités : Nous n’avons pas mené le projet de recherche en laboratoire, mais en échangeant avec ceux qui travaillent avec l’italien officiel : avec la Chancellerie fédérale, avec les chancelleries d’Etat du Tessin et des Grisons, avec les traductrices et traducteurs. Ce n’est qu’ainsi qu’il a été possible de comprendre la langue en profondeur et d’expliquer ses particularités’.