Améliorer sa santé par les jeux vidéos, c’est le pari de Neuria. Née du travail de chercheuses et chercheurs de l’Université de Fribourg, la start-up connaît un succès qui surprend ses créateurs. Elle a su actionner les bons leviers, comme le Service de transfert de connaissances et de technologies.
Imaginez une équipe d’universitaires en neurosciences, leurs journées rythmées par la recherche expérimentale, les publications dans des revues scientifiques, les cours donnés aux étudiant·e·s, les quêtes de fonds. Imaginez soudain que tout s’accélère. Les chercheur·euse·s se mettent à devoir parler «start-up», «incubator», «business plan».L’histoire est celle de l’entreprise Neuria , qui propose des jeux vidéo visant à changer les comportements, notamment alimentaires, pour une meilleure santé. Portée par une équipe interdisciplinaire entre neurosciences, psychologie et informatique, elle émane du Laboratoire des sciences de la neuroréhabilitation de l’Université de Fribourg et de l’HFR Fribourg - Hôpital cantonal.
Pour le responsable du groupe de recherche du laboratoire, Lucas Spierer, ce projet est tombé au bon moment. Car ce scientifique passionné l’avoue: après plus de quinze ans de recherche, il ressentait le besoin d’une nouvelle dynamique dans son parcours. «C’était ma crise de la quarantaine», sourit-il, sans imaginer au départ que Neuria le comblerait autant.
Trouvaille inattendue
Car cette jeune société, créée en 2021, a vite séduit dans le domaine de l’innovation, remportant ces derniers mois trois concours: le prix à l’Innovation du Canton de Fribourg (prix start-up), le Future of Health Grant, collaboration entre l’Innovation Park de l’EPFL et la CSS Assurance ainsi que le Swiss accelerator showcase, autre fruit de l’Innovation Park.
«Ces prix sont importants pour le développement de Neuria. Ils nous amènent de l’argent, mais aussi de la visibilité et de la crédibilité», souligne Lucas Spierer. Des considérations toutes actuelles car, au départ, il s’agissait uniquement de recherches. Lucas Spierer et son équipe étudiaient les stratégies pour la réhabilitation des patient·e·s cérébro-lésé·e·s.
«Nous avons constaté que le fait d’exercer le contrôle moteur, par exemple en répondant à des images de nourriture selon certaines règles, ne conduisait pas à un meilleur self-control, mais à une dévaluation de ces stimuli utilisés dans les tâches.» Cette trouvaille inattendue inspire les chercheur·euse·s. Ils y voient un moyen pour aider à changer les comportements en réduisant l’attrait des produits indésirables chez le sujet.
Lucas Spierer et son équipe se lancent donc dans cette direction, développent des logiciels pour réaliser leurs recherches. «Afin de rendre l’exercice moins fastidieux pour les participant·e·s, nous avons caché nos entraînements dans des jeux vidéo avec l’aide de spécialistes», explique le scientifique.
Transition délicate à négocier
C’est à ce moment que l’idée d’une entreprise sort de l’éprouvette des chercheur·euse·s, qui ont atteint ce qu’on appelle dans le jargon de l’innovation un minimum viable product, soit un produit remplissant les conditions minimales pour une commercialisation. La sémantique change, le résultat d’une recherche devient ici un «produit».
Une foule de questions émerge alors, dont celle de la propriété intellectuelle. «Les brevets transforment une chose intangible en un bien que l’on peut vendre. Ils ont une fonction commerciale en même temps qu’ils protègent la recherche», relève la Docteure Valeria Mozzetti Rohrseitz, responsable du Service de transfert de connaissances et de technologies (KTT) de l’Université de Fribourg.
Agir rapidement est primordial selon elle: «Les chercheur·euse·s tardent souvent à faire la démarche, mais il faut contacter un service tel que le nôtre avant de publier le résultat, car dès la publication de l’idée dans un article, celle-ci n’est déjà plus nouvelle.» Lucas Spierer et son équipe ont été d’ailleurs à deux doigts de commettre la bourde.
«On a retenu une publication au dernier moment», confie-t-il, ajoutant que monter une start-up a nécessité beaucoup de travail en peu de temps. Il a fallu se plonger dans le monde du commerce et des start-ups, monter un plan financier. «L’accompagnement juridique et administratif est essentiel», reconnaît Lucas Spierer.
Précieux soutiens
Le chercheur est heureux d’avoir pu compter sur l’aide précieuse du KTT et d’autres services, comme la plateforme cantonale Fri-Up. L’Université de Fribourg compte aujourd’hui une quinzaine de brevets actifs. «Ces brevets aident les start-ups à lever des fonds et garantissent qu’une évaluation préalable du produit a été réalisée», relève Valeria Mozzetti Rohrseitz.
La responsable du KTT rappelle l’importance de solliciter des soutiens, comme le Proof of concept Grant, fonds interne à l’Université de Fribourg destiné au projet de recherches dont les résultats sont prometteurs, mais pas suffisamment solides pour une application et une commercialisation.
Elle mentionne aussi le BRIDGE, programme développé par le FNS et Innosuisse, ou encore les collaborations entre le KTT et la Haute école d’ingénierie et d’architecture de Fribourg. Valeria Mozzetti Rohrseitz rappelle que l’une des missions de l’Université est aussi de favoriser la concrétisation des idées, leur matérialisation.
«Neuria, c’est notre bébé»
Quant à Neuria, l’entreprise s’apprête à entrer dans une nouvelle phase. Lucas Spierer songe à engager un directeur ou une directrice dédié·e à la start-up et financé·e par cette dernière pour la partie commerciale. Bien sûr, elle reste liée à l’Université. «C’est notre bébé et nous continuerons de nous investir dans la partie recherche et le développement.»
Le scientifique fait remarquer que le premier but de Neuria reste de dégager des fonds pour des projets de recherche. «Ce contact avec l’économie peut toutefois être une expérience intéressante pour les jeunes chercheur·euse·s», dit-il. Lui avoue que l’expérience l’a bousculé et qu’elle a réveillé sa fibre compétitive, même s’il se réjouit de retrouver un rythme de travail plus «normal».
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Exerce d’abord sa plume sur des pages culturelles et pédagogiques, puis revient à l’Unifr où elle avait déjà obtenu son Master en lettres. Rédactrice en chef d’Alma & Georges, elle profite de ses heures de travail pour pratiquer trois de ses marottes: écrire, rencontrer des passionnés et partager leurs histoires.