Frustré par la «myopie» des instruments que les scientifiques utilisent pour observer les protéines et les enzymes, Pau Molet Bach, chercheur à l’Institut Adolphe Merkle (AMI), ambitionne de perfectionner une technique aussi nouvelle que prometteuse, celle dite des pinces optiques plasmoniques. Une percée dans le domaine permettrait à la recherche médicale et pharmaceutique d’y voir plus clair. S’il était musicien, on pourrait dire de lui qu’il est polyinstrumentiste. Au fil de ses études, Pau Molet Bachs s’est frotté à la biologie, à la chimie, à la physique et a même goûté aux joies des mathématiques. Fort d’un Bachelor en nanosciences et nanotechnologies, d’un Master en photonique et, last but not least, d’un doctorat en science des matériaux, le chercheur catalan a décroché en août dernier un Swiss Postoctoral Fellowship du Fonds national suisse de la recherche d’un montant de plus de 275’000 francs. Ce subside destiné aux scientifiques lui permettra durant deux ans de poursuivre ses recherches sur les pinces optiques plasmoniques dans le cadre du projet PROTRAP de Michael Mayer.
L’essentiel est invisible pour les yeux... et les microscopes
Comprendre les mécanismes à l’origine des maladies est essentiel si l’on souhaite développer des médicaments efficaces, mais encore faut-il être capable d’observer des phénomènes qui se produisent à l’échelle nanoscopiques, autrement dit aux alentours du milliardième de mètre. Les techniques optiques conventionnelles n’en étant pas capables, les scientifiques recourent à différentes approches qui non seulement cherchent à repousser ces limites, mais qui, hélas, en ont aussi. «Pour nous, il est crucial de pouvoir observer les protéines, explique Pau Mollet Bachs, la manière dont elles se déplacent, leur façon de changer de forme au cours de certaines activités enzymatiques. Malheureusement, comme notre n’est pas suffisante, nous ne sommes jamais certain·e·s d’avoir correctement discerné les processus en cours. Mon but, en quelque sorte, est de corriger cette myopie.»
Une technique à affiner
Aujourd’hui, les scientifiques peuvent recourir à trois techniques, mais qui ont chacune leurs qualités et leurs défauts. La première, appelée cryomicroscopie électronique, consiste, comme son nom l’indique, à congeler très rapidement les échantillons, puis à les observer au microscope électronique. «On obtient ainsi la meilleure image possible des structures, mais il ne s’agit en somme que d’une photographie, un instantané, regrette le chercheur. Nous ne savons pas si la protéine est active, si elle était capable de se déplacer, car la congélation l’a tuée.» Cette technique, qui pour l’anecdote a valu le Prix Nobel de chimie à Jacques Dubochet, ne permet donc de recueillir aucune information temporelle.
Pour étudier ces dynamiques à l’oeuvre, il existe une deuxième approche, plus récente, qui répond au doux nom de FRET, pour Förster Resonance Energy Transfer. «C’est une magnifique technique, s’enthousiasme Paul Molet Bachs, il existe des milliers d’articles écrits à son sujet. Elle permet d’observer comment des fluorophores, autrement dit des marqueurs lumineux, passent d’une molécule à une autre.» Contrairement à la cryomicroscopie électronique, le FRET permet d’appréhender les interactions moléculaires. Le hic, car il y en a toujours, un, c’est que cette technique requiert de modifier chimiquement les protéines et qu’elle n’est pas exempte de signaux parasites.
C’est là qu’intervient la troisième approche, celle à laquelle Pau Molet Bachs consacre ses jours et ses nuits : les pinces optiques plasmoniques. Comme souvent, certaines inventions apparaissent dans une discipline, ici en l’occurrence la physique, jusqu’à ce qu’un scientifique songe à des applications possibles dans un tout autre domaine. «Ces transferts se font souvent vers les domaines pharmaceutiques ou la médecine, là où les possibilités d’un retour sur investissement sont les plus grandes», souligne presque en aparté Pau Molet Bachs. Pour revenir à ces pinces d’un genre nouveau, leur objectif est de comprendre comment les protéines se déplacent et se transforment sans avoir à les modifier chimiquement au préalable. «De manière très simplifiée, nous utilisons un faisceau laser de façon très concentrée de sorte à maintenir en place une protéine, comme si elle était prise dans des pinces, ce qui nous permet ainsi de l’observer en temps réel de manière détaillée.»
Pau Molet Bachs entre en jeu
Tout comme les deux précédentes techniques, les pinces optiques plasmoniques méritent encore d’être peaufinées. «Il nous est encore difficile de manipuler les protéines sans les endommager, concède le chercheur de l’AMI. En somme, nous manquons de délicatesse». Il convient donc d’optimiser le matériel de sorte à obtenir des résultats plus fiables. Pau Molet Bachs a bon espoir d’y parvenir, même si cette technique n’est pas appelée à supplanter les deux autres. «Certains se montrent très optimistes. Quant à moi, je ne pense pas que les pinces optiques plasmoniques vont les remplacer, mais bien plutôt les compléter.» On est pourtant loin de la recherche fondamentale, car le chercheur reste convaincu que d’ici quelques années déjà, les pinces optiques plasmoniques permettront de mieux comprendre comment les médicaments interagissent avec les protéines du corps, et donc de développer des médicaments plus efficaces.
The long and winding road! Après un détour par l’archéologie, l’alpage, l’enseignement du français et le journalisme, Christian travaille depuis l’été 2015 dans notre belle Université. Son plaisir de rédacteur en ligne? Rencontrer, discuter, comprendre, vulgariser et par-ta-ger!
Exploration aux frontières du visible
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