Des chercheurs de l’EPFL ont récemment développé un algorithme qui permet de cartographier le paysage médiatique et de mettre au jour les éventuels partis pris ou influences cachées des médias d’information.
En parcourant les journaux, un lecteur ne perçoit pas aisément que l’appartenance d’un média à un groupe de presse peut influencer sa façon de traiter l’information. Or à une époque où nous sommes tous et toutes exposés au problème de la désinformation, il apparaît nécessaire que les influences extérieures sur les médias soient connues du public.
Des chercheurs du Laboratoire des systèmes d’information répartis (LSIR) de l’EPFL ont lancé une initiative qui aspire à rendre l’information plus transparente. Baptisée Media Observatory , elle a pour but de cartographier le paysage médiatique suisse et international en examinant le choix des sujets publiés. Résultat : le modèle met en évidence les éventuelles influences sur un média en analysant les sujets que celui-ci sélectionne. « La difficulté principale de cette approche est l’absence d’une vérité unique : sélectionner des événements est par nature partial. Notre méthode compare des milliers de sources d’actualité dans le but de les cartographier en fonction de leurs similarités », explique Jérémie Rappaz, chercheur au LSIR et l’un des auteurs principaux de ce travail.
La méthode développée met en lumière des facteurs géographiques ou thématiques, mais aussi et surtout l’influence des groupes de presse sur les acteurs locaux. La carte ainsi produite met très clairement en évidence les changements abrupts dans la ligne éditoriale d’un média à travers le temps. « La plupart de ces changements coïncident avec un rachat de la chaîne d’actualité, laquelle reprend les sujets du groupe dont elle fait désormais partie », explique Jérémie Rappaz. L’appartenance d’un média régional à un large groupe n’est pas forcément connue du public ni évidente. L’approche des chercheurs tend à pallier cette lacune en identifiant les liens entre les sources médiatiques au travers du contenu qu’elles publient, ainsi que le phénomène de concentration des médias.
« Les groupes de presse en Suisse et à l’étranger réunissent de plus en plus fréquemment leurs ressources pour réduire le coût de production de leurs articles. Malheureusement, cette concentration des médias nuit à la diversité dans le traitement de l’information qui parvient au lecteur, ce qui est inquiétant, en particulier lorsque le contenu n’est pas neutre », analyse Jérémie Rappaz. Un exemple frappant de ce problème a été exposé par John Oliver dans l’émission Last Week Tonight aux États-Unis, montrant des journalistes de chaînes locales appartenant au groupe Sinclair lisant tous un script absolument identique qui traitait, ironiquement, du manque de diversité dans les actualités.
Des outils de personnalisation
Le projet du LSIR est désormais soutenu par l’Initiative pour l’innovation dans les médias (IMI), basée à l’EPFL et bénéficie d’un partenariat avec le quotidien suisse Le Temps. Grâce à ces soutiens, une plateforme en ligne sera mise à disposition du public dès l’année prochaine. Celle-ci permettra de quantifier la manière dont est quotidiennement traitée l’actualité en Suisse et dans le monde, ainsi que de sensibiliser le public aux problèmes liés à la mésinformation. «Nous sommes très intéressés à mieux comprendre et faire connaître les logiques de concentration dans notre propre secteur, la presse. Nous voulons être très transparents quant aux conditions de productions de l’information : c’est la condition sine qua non pour assurer un lien de confiance entre nous, médias, et notre public. C’est pour cette raison que nous sommes ravis de contribuer au projet du LSIR », explique Gaël Hurlimann, co-rédacteur en chef du Temps, en charge du numérique, qui ajoute encore : «Peut-être que les résultats de l’étude nous inciteront même à changer quelques pratiques, qui sait.»
Misant sur l’open source et la transparence, la technologie derrière la future plateforme s’inspire d’algorithmes de personnalisation, similaires à ceux utilisés par des sites comme Netflix ou Amazon, qui vous suggèrent quelle vidéo regarder d’après votre historique. « Nous avons appliqué ce concept à des données de couverture médiatique et avons été très surpris par le potentiel de cette utilisation », explique Jérémie Rappaz. Les chercheurs ont soumis à leur algorithme 500 millions d’articles récoltés durant les trois dernières années et provenant de 8000 sources différentes. L’algorithme a ensuite analysé le traitement d’une actualité par les différents médias, ce qui a permis de regrouper les sources en fonction de leurs similitudes et de mettre en évidence les différents liens entre elles, de même que les influences sur celles-ci.
Les chercheurs espèrent que leur travail et la plateforme qu’ils vont développer permettront au public d’appréhender l’actualité avec un regard plus critique et d’offrir de nouveaux outils aux journalistes d’investigation. Plus d’informations et d’explications sont disponibles sur https://www.mediaobservatory.com/
RéférencesA Dynamic Embedding Model of the Media Landscape, Jeremie Rappaz, Dylan Bourgeois, Karl Aberer, The Web Conference 2019 (WWW ’19) https://www.mediaobservatory.com/assets/papers/www19.pdf